Cinéphages n°323
GUTLAND
2018. Luxembourg/Allemagne/Belgique/France. Réalisation Govinda Van Maele. Interprétation : Frederick Lau, Vicky Krieps, Marco Lorenzini, Pit Bukowski... Sortie le 28 novembre 2018 (Next Film Distribution).
Malheureusement pour lui, le film de Govinda Van Maele arrive après toutes les batailles. Ses comédiens principaux ont pu être découverts dans des oeuvres bien plus puissantes (Victoria pour Frederick Lau, Phantom Thread pour Vicky Krieps), le film de genre européen a achevé sa mue naturaliste d’une balle dans la nuque il y a plusieurs années, et ses thématiques d’aliénation identitaire ont déjà été rebattues. Sa nature pan-européenne lui assure tout juste une petite singularité. Dans la grande machinerie du cinéma de genre des années 2010, même pas un chaînon manquant, à peine un rouage.
F.C.
ALAD’2
2018. France. Réalisation Lionel Steketee. Interprétation Kev Adams, Jamel Debbouze, Vanessa Guide… Sorti le 3 octobre 2018 (Pathé Distribution).
Voilà donc la gueule du blockbuster français de 2018 : un pied dans la tombe de l’humour avec son Jamel Debbouze en flagrant délit de recyclage de ses vannes d’il y a 20 ans (en gros, il bredouille), l’autre dans le jeunisme inconséquent à la gloire du charisme idéalisé de Kev Adams (en gros, il sourit, a de beaux abdos et fait des dabs). Il faut voir la scène avec Gérard Depardieu, piteuse reconstitution de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique tournée sur un coin de plage avec six figurants mal fagotés, pour prendre la pleine mesure du vide artistique interstellaire d’un projet calé sur les maigres acquis du premier épisode.
F.C.
RATSASAN
2018. Inde. Réalisation Ram Kumar. Interprétation Vishnu Vishal, Amala Paul, Radha Ravi… Sorti le 12 octobre (Night Ed Films).
En introduction, Arun, un réalisateur fasciné par les tueurs en série, essuie une série de refus de producteurs frileux. De guerre lasse, il finit par intégrer les forces de police et se retrouve sur les traces d’un authentique meurtrier d’étudiantes. La mise en abyme fonctionne pour le réalisateur, Ram Kumar, dont le premier long-métrage vibrait déjà d’aspirations cinématographiques orientées vers le cinéma de genre. Elle vaut aussi pour le cinéma tamoul de Kollywood, à l’assaut de la mainmise de l’industrie Bollywood sur le cinéma indien. Pour cause de gros penchants mélodramatiques et de résolution absurde, le résultat ne convainc hélas qu’à moitié.
F.C.
LE TROISIÈME OEIL
2017. Indonésie. Réalisation Rocky Soraya. Interprétation Jessica Mila, Bianca Hello, Denny Sumargo… Disponible en SVOD (Netflix).
Rejeton du producteur Ram Soraya, le petit Rocky a bifurqué du mélodrame vers l’horreur depuis 2015 avec une trilogie consacrée aux poupées maléfiques (The Doll 1 et 2, Sabrina). Le voilà qui lorgne à présent du côté du monde des esprits. Une fois de plus, sa tentative de greffe des codes de la grande vague horrifique indonésienne des années 1970 et 1980 au cinéma d’exploitation mainstream contemporain peine à convaincre. L’ambiance cauchemardesque du dernier acte laisse planer un vague espoir pour son prochain projet, une intrigante extrapolation sur l’aura de la mythique actrice Suzzanna, la grande prêtresse de l’Âge d’Or du cinéma d’horreur indonésien.
F.C.
AUCUN HOMME NI DIEU
Hold the Dark. 2018. USA. Réalisation Jeremy Saulnier. Interprétation Jeffrey Wright, Alexander Skarsgård, Riley Keough… Disponible en SVOD (Netflix).
Dans le minuscule village de Keelut, en Alaska, des loups ont tué trois enfants. Medora Slone, mère de la troisième victime et dont le mari Vernon se bat dans le désert irakien, décide de faire appel à l’écrivain naturaliste Russell Core pour traquer l’animal… De la ruine bleue à la chambre verte, Jeremy Saulnier a déjà exploré différentes nuances de la palette de la sauvagerie humaine. Cette fois, les couleurs sont exclues, et l’on ne retient que les ténèbres, comme le souligne le titre original (Hold the Dark) de cette très fidèle adaptation du superbe bouquin de William Giraldi scénarisée par l’acteur fétiche de Saulnier, Macon Blair (ici dans un petit rôle au sein d’un cast stellaire dominé par Alexander Skarsgård et Jeffrey Wright). Mais qu’on ne s’y trompe pas : si Saulnier avait jusqu’ici l’habitude de mettre en scène ses propres scripts, on comprend vite ce qui l’a séduit dans l’histoire imaginée par Giraldi, puisque ce dernier disserte de façon à la fois poétique, littérale et complexe sur l’animalité profonde de l’homme dès lors que le vernis de la civilisation se craquelle (déjà le sujet de Blue Ruin et Green Room). Trouvant dans un coin reculé d’Alaska le lieu parfait pour évoquer simultanément la question indienne, le désintérêt des politiques pour les petites communautés et les problèmes environnementaux, Giraldi avait livré un poème brutal et morbide sur nos pulsions profondes, qu’elles soient de vie ou de mort – souvent les deux à la fois. Saulnier en tire un polar contemplatif quasi horrifique mêlé de nature writing, comme si Cormac McCarthy, David Wann et Jack London avaient été adaptés par Sam Peckinpah. Opacifiant certaines trames du roman pour rendre encore plus primaux et mythologiques les thèmes de son film et permettre au spectateur d’y instiller sa propre sensibilité, le cinéaste capture parfaitement la géographie tourmentée de ses décors et délivre un récit comme engourdi par le froid et la fatalité… jusqu’à ce que des déchaînements de sauvagerie fassent souffler des déflagrations dévastatrices, comme cet interminable gunfight à mi-parcours qui rappelle que Saulnier est un cinéaste dont l’approche de la violence a trouvé un point d’équilibre parfait entre moralité totale (aucun doute, les personnages souffrent) et cinégénie cinglante (Peckinpah, on vous dit). Ce qui ne l’empêche pas d’aborder parfois les rives du slasher et du film de lycanthrope avec une sûreté de ton quasi insolente, puisqu’aucune de ces incursions a priori exogènes ne vient troubler la cohérence massive d’un film hanté par le deuil et le pourrissement, mais aussi faiblement illuminé de l’intérieur par la beauté froide de la nature, et la possibilité infime de trouver une minuscule once d’espoir au bout du chemin.
L.D.
THE MUMBAI MURDERS
Raman Raghav 2.0. 2016. Inde. Réalisation Anurag Kashyap. Interprétation Nawazuddin Siddiqui, Vicky Kaushal, Sobhita Dhulipala… Sortie le 21 novembre 2018 (Stray Dogs Distribution).
Le carton introductif nous présente Raman Raghav, authentique tueur en série ayant sévi dans les rues de Mumbai (aujourd’hui Bombay) durant les années 60. Puis une brusque coupe sur un téléphone portable utilisé pour sniffer un rail de coke, suivie d’un autre carton confirmant ce que l’on pressentait : « Ce film ne parle pas de lui. ». Raman Raghav 2.0 (titre original) entend donc s’éloigner des habitudes cinématographiques bollywoodiennes. Déjà de par son sujet (la trouble relation qui unit un serial killer inspiré de Raghav et un flic pourri), puis par son traitement. Oubliez l’Inde chatoyante et souriante véhiculée par le 7e Art du cru : bienvenue dans l’Inde urbaine moderne, suffocante et surpeuplée, ployant sous le poids des inégalités et de la corruption. La descente aux enfers orchestrée par Anurag Kashyap (Gangs of Wasseypur) s’annonce rude… du moins selon les standards locaux. Car la viscéralité de cette histoire où s’effacent les frontières entre le chaos et l’ordre – chacun représenté par l’un des deux « héros » – est singulièrement amoindrie par une autocensure interdisant une mise en scène trop frontale des exactions du fameux Raman 2.0. Le recours systématique au hors-champ et l’incontournable intermède musical (alors que l’affreux massacre sa soeur devant son neveu !) finissent par créer un décalage qui nuit à l’impact global d’un film pourtant ambitieux dans sa volonté d’inscrire le cinéma indien dans une veine plus réaliste. Il vaut donc mieux voir The Mumbai Murders comme une étape dans un processus d’émancipation d’une certaine standardisation plutôt que comme une fin en soi. Sans oublier de se délecter de la performance de Nawazuddin Siddiqui, carrément fascinant de dangerosité et de magnétisme en prédateur ultime déguisé en quidam anonyme.
L.D.
INTERVIEW ANURAG KASHYAP RÉALISATEUR ET COSCÉNARISTE
L’auteur de The Mumbai Murders nous raconte comment une vieille affaire de serial killer local lui a servi de fil rouge pour explorer les tabous de la société indienne.
Au départ, vous vouliez traiter d’un véritable cas de tueur en série indien, puis vous avez bifurqué sur un personnage fictif s’inspirant de ses méfaits…
Nous avons d’abord effectué beaucoup de recherches avec mon coscénariste Vasan Bala, lequel a réalisé le formidable The Man Who Feels No Pain qui a remporté la compétition Midnight Madness cette année au Festival de Toronto. Je voulais en effet faire un film sur le serial killer Raman Raghav, qui se serait donc passé dans les années 60, ce qui aurait été très beau… et très coûteux. Or, entre-temps, j’ai réalisé une grosse production de studio intitulée Bombay Velvet, également située dans les années 60 et qui a été un énorme flop au box-office : le budget était de 18 millions de dollars, et le film en a rapporté 6. Du coup, en Inde, personne ne voulait plus d’un scénario situé dans un passé récent. Dans notre pays, nous faisons des longs-métrages sur des rois et des reines, jamais des choses se déroulant dans les années 60. Cependant, mon producteur m’a dit qu’il disposait d’un peu d’argent pour le projet de mon choix. C’était moins d’un demi-million de dollars, mais je lui ai répondu : « Donne-moi ça, et ne me pose pas de questions ! ». C’est ainsi que j’ai transformé mon histoire en une espèce de théâtre de chambre, avec très peu de décors différents, afin de tout dire sur la situation politique du pays. Sans aucun filtre.
C’est à ce moment que vous avez inventé le personnage-miroir du policier ?
Oui. La première idée qui m’est venue quand il s’est agi de situer le scénario aujourd’hui, c’est que les mots « Raman Raghav » sonnent comme la juxtaposition de deux prénoms. J’ai donc scindé le personnage pour en faire deux individus distincts : le serial killer que nous connaissons tous, et un autre que nous ne connaissons pas. La question est de savoir lequel est le plus dangereux. L’Inde est un pays très étrange, car nous sommes censés faire confiance à la police, alors qu’en fait, tout le monde la craint. C’est pourquoi, même si l’histoire se déroule dans un nombre limité de décors, j’ai aussi inclus des plans volés dans la ville. Je voulais montrer que l’Inde est un pays si peuplé qu’une personne marchant dans la rue pourrait vraiment être n’importe qui. Car le trafic est le plus dense du monde, et les automobilistes sont toujours en colère et en train de crier. Du coup, si quelqu’un est danger, personne n’y prête attention, tellement nous sommes habitués au bruit.
Et les intérieurs sont tous des décors réels ?
Oui. Par exemple, l’appartement de la soeur du meurtrier, que ce dernier prend en otage avec sa famille, était un espace si claustrophobique qu’il m’a aidé à mettre les acteurs dans l’ambiance. Cet épisode est tiré de la vie du serial killer original : il avait une relation perverse avec sa soeur, qu’il a fini par assassiner après l’avoir violée. De manière générale, je voulais que l’acteur jouant le tueur soit crédible, et je lui ai donc demandé de rester longtemps dans ce quartier de Bombay, jusqu’à ce qu’il en fasse vraiment partie. Du coup, il a traîné dans des endroits si sales qu’il a fini par attraper la dengue. Il a ainsi passé un mois à l’hôpital, après le tournage.
C’est dangereux de travailler avec vous ! Vous avez beau montrer des endroits repoussants, vous les traitez avec une sorte d’expressionnisme…
Je ne voulais pas que mon film ait l’air fauché, et nous avons donc inclus beaucoup de couleurs, d’atmosphères, de travail photographique. C’est mon goût, et en fait, je n’aurais pas procédé différemment si j’avais eu du budget.
En Occident, cela semble très bizarre qu’un tel film comporte des chansons, même si la lecture des sous-titres nous révèle que les paroles sont en fait très morbides…
En Inde, c’est très difficile de sortir un film ne comportant pas de chansons. Cependant, je m’efforce d’utiliser la musique de manière dramatique, en collaborant étroitement avec Varun Grover. Ce dernier est un des plus célèbres comiques de stand-up en Inde, et il écrit des chansons très subversives et politiques. Cependant, pour moi, The Mumbai Murders est aussi une histoire d’amour. Le tueur comprend la nature du policier avant même que ce dernier n’en prenne conscience, et il le pousse à aller plus loin dans le mal. En fait, le serial killer cherche un élève, un amant. C’est pourquoi il ne cesse de se rendre à la police, cherche à éloigner le flic de la femme qu’il aime…
PROPOS RECUEILLIS PAR G.E. Merci à Anne-Lise Kontz.
THE NIGHT COMES FOR US
2018. Indonésie. Réalisation Timo Tjahjanto. Interprétation Joe Taslim, Iko Uwais, Julie Estelle… Disponible en SVOD (Netflix).
LE BON APÔTRE
Apostle. 2018. G-B./USA. Réalisation Gareth Evans. Interprétation Dan Stevens, Michael Sheen, Bill Milner… Disponible en SVOD (Netflix).
Que l’on veuille bien l’accepter avec dignité ou qu’on soit dans le déni, recroquevillé en position foetale sous la douche, le diptyque The Raid a marqué le cinéma d’action des années 2010, et le remake à venir de Joe Carnahan et Frank Grillo devrait définitivement clore tout débat à ce sujet. The Raid, ou l’association de trois producteurs indonésiens poussés par l’énergie volontaire du géant gallois expatrié Gareth Evans et de la jeune société de production XYZ Films, à l’entame d’une décennie inaugurale foisonnante sur le terrain de l’exploitation tous azimuts, des pires Kevin Smith (Tusk et Yoga Hosers) aux meilleurs Nicolas Cage (Mandy et Mom and Dad) en passant par une généreuse poignée de petites merveilles éloignées des radars mainstream (I Don’t Feel at Home in This World Anymore, Spring, Electric Boogaloo…). Les deux derniers titres du catalogue XYZ Films, cooptés p [...]
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G.C.M
le 21/12/2018 à 14:20ASSASSINATION NATION est un très très bon film. Perso, le climax est tellement en décalage avec le reste du film que je l'ai pris pour une vision onirique de l'héroïne lors de son transfert aux urgences car en fait elle ne s'en serait pas sortie. Car enfin, cette fin ne peut être prise au sérieux et les derniers plans ne nous disent pas si oui ou non tout cela a eu lieu