Peter Deming : la ruée vers l’Oz

Si vous avez parcouru notre hors-série dédié à la saga Evil Dead, vous avez déjà pu vous plonger dans les souvenirs de Peter Deming au sujet du second opus. Le parcours de ce directeur de la photographie est toutefois loin de se résumer à un titre isolé, et il méritait bien qu’on lui consacre une interview carrière. Généreux et prolixe, Deming revient dans les pages qui suivent sur ses autres collaborations avec Sam Raimi, ses expérimentations dans le domaine de la comédie (Mon cousin Vinny, Austin Powers) ou encore sa collaboration avec David Lynch, de Lost Highway à Twin Peaks: The Return.

Sur Evil Dead 2, combien de personnes aviez-vous dans votre équipe caméra ?

Pas tant que ça. Deux premiers assistants, deux seconds assistants, et Sam opérait souvent la caméra B.


Sam Raimi a-t-il conservé beaucoup de plans de cette caméra B dans le film ?

Il y a en, oui, surtout pour la fin moyenâgeuse. Quand nous avons lâché la voiture, nous avions trois caméras braquées sur elle. L’une d’elles était fixe et Sam tenait l’une des deux autres. Il y a beaucoup de plans dans le film où la caméra fonce rapidement sur une poignée de porte, ou quelque chose comme ça.

On commençait souvent nos journées par ce type de plans sans acteurs, pendant que Bruce Campbell ou Ted Raimi se faisait maquiller. Sam avait une liste sans fin d’images d’ambiance et il les filmait souvent lui-même. Nous n’avons jamais perdu une seule seconde sur Evil Dead 2.

 


Bruce Campbell en Evil Ash dans Evil Dead 2.


Le timing est très important chez Raimi, notamment la synchronicité entre le mouvement des acteurs et celui de la caméra.

Parfois, nous devions refaire une prise pour améliorer cet aspect, mais Bruce Campbell et lui étaient sur la même longueur d’onde. S’il y avait une erreur, elle pouvait être facilement corrigée. Les ajustements étaient vraiment ridicules.

Je crois que le plus difficile à ce niveau, ç’a été le gag du miroir. Nous avions une doublure de Bruce à l’avant-plan et le vrai Bruce interprétant le reflet. Ils ont beaucoup répété pour que leurs mouvements soient absolument identiques.

 

Qu’avez-vous fait sur Darkman ?

J’ai participé au tournage des séquences aériennes. J’ai mis en boîte pas mal de plans à l’épaule pour les moments où Liam Neeson est accroché au patin de l’hélicoptère. Je ne sais même plus si c’était Liam ou un cascadeur, d’ailleurs, mais c’était vraiment du sérieux.

Bien sûr, il était accroché avec des câbles de sécurité, mais ça restait quand même sacrément dangereux. J’ai aussi filmé des plans où l’on voit le héros courir sur les toits au milieu des impacts de balles et des explosions.



La spécialité de Peyton Westlake (Liam Neeson) dans Darkman ? Survivre à d'impressionnantes explosions.


Vous avez retrouvé Sam Raimi des années plus tard sur Jusqu’en enfer.

C’est un film très noir, proche d’un thriller hitchcockien. Sam et moi avons voulu adopter un style d’éclairage proche des vieux classiques de Hollywood, puis le pervertir de l’intérieur.

Je me souviens notamment de cette séquence de dîner où l’héroïne est invitée chez les parents de son petit ami : on commence avec un éclairage de studio très formel et ensuite, les angles commencent à se pencher, la mouche arrive… C’est une version Sam Raimi du vieil Hollywood !

 

Vous souvenez-vous du tournage de la scène du parking souterrain ?

Oh oui, ce fut épique. Sam avait story-boardé l’intégralité du film, donc je savais ce qui nous attendait pour cette séquence. Je dirais qu’on l’a tournée en cinq ou six jours, sans compter les inserts. Dans un plan, elle essaie d’atteindre le levier de vitesse alors que la vieille dame l’étrangle. On a tourné ça en studio des semaines plus tard !

Pareil pour le moment où la voiture percute le mur en marche arrière : la seconde équipe a tourné l’impact dans le vrai garage et on a filmé plus tard des éléments avec les deux actrices sur fond bleu afin d’intégrer les personnages à l’intérieur du véhicule. Cette scène était un gigantesque puzzle et on a travaillé dessus tout au long de la production. Si on avait eu plus de temps, on aurait travaillé dessus pendant des années. 



La géniale scène du parking de Jusqu'en enfer.


Vous aviez une idée assez précise du résultat final pendant le tournage ?

Aussi précise que possible, mais j’ai quand même été stupéfait quand j’ai vu la scène terminée pour la première fois. J’adore le plan où la caméra suit le mouchoir dans les airs ; l’objectif tourne et on découvre Mme Ganush assise à l’arrière. C’était difficile de placer la caméra à cet endroit, mais on s’est servi du toit panoramique pour installer un rig compact, qu’on avait allégé au maximum.

La tête était radiocommandée et je pouvais opérer le mouvement panoramique depuis ma console. Nous avons pris soin d’installer l’actrice dans l’ombre afin qu’elle puisse s’avancer vers la lumière de la façon la plus glauque qui soit. Je dois dire que le tournage a été très difficile pour Alison Lohman.

Vous vous souvenez de ce moment où elle reçoit des tas de vers sur le visage alors qu’elle est allongée sur son lit ? Il y a un plan en plongée où on est au-dessus de l’héroïne. Je me souviens du jour où on a tourné ça ! Sam parlait à Alison pendant les prises de vues, il la guidait autant qu’il le pouvait. Les vers étaient en fait des pâtes mélangées avec des épinards. Après la première prise, on était tous morts de rire, l’actrice y compris. Sam et moi avions l’impression d’être de retour en 1986, sur le plateau d’Evil Dead 2.

 

Parlons un peu du Monde fantastique d’Oz.

Ç’a été un défi logistique énorme. Nous avons dû simuler la lumière du jour à l’intérieur d’un gigantesque studio. Nous avions par ailleurs décidé de tourner en 3D native, ce qui demande une puissance d’éclairage énorme. Nous nous sommes installés dans un grand bâtiment tout neuf en plein Michigan. Il y avait sept plateaux et nous les avons tous loués.

J’avais l’impression de me balader dans le vrai monde d’Oz. Vu les moyens qu’on avait à notre disposition, si on pouvait imaginer quelque chose, on pouvait le créer. Les environnements 3D ont demandé beaucoup de préparation car on devait comprendre la topologie des lieux et savoir en permanence où était la Cité d’émeraude, le château de Glenda, etc.

Les personnages se déplacent sans cesse d’un endroit clé à un autre. À un moment, James Franco et Mila Kunis marchent le long du chemin de briques jaunes et arrivent au sommet d’une colline, d’où ils aperçoivent la Cité d’émeraude.

Un prestataire du nom de General Lift a conçu un système de prévisualisation en temps réel synchronisé avec les mouvements de la caméra. Nous avions fabriqué le chemin de briques jaunes et les arbres autour, mais le plateau était entouré de fonds bleus.

Grâce à des capteurs placés sur la caméra et un mapping 3D du plateau, on pouvait voir les arrière-plans sur notre combo, calculés en temps réel. Quand Sam disait : « Fais un panoramique vers la Cité d’émeraude », je la voyais vraiment.

On montrait le résultat aux acteurs avant chaque prise, donc ils pouvaient réagir de façon plus crédible.

 


James Franco dans Le Monde fantastique d'Oz.


Le monteur Bob Murawski nous a appris que Sam Raimi n’aime pas la 3D stéréoscopique.

C’est possible ! (rires) Il a quand même essayé d’en tirer profit pendant toute la production du Monde fantastique d’Oz. Le production design a été pensé pour la 3D : chaque décor devait comporter un certain nombre d’éléments permettant d’amplifier l’effet de profondeur.

On a d’ailleurs été surpris par le champ de tournesols. On pensait que ça allait être fantastique en stéréoscopie car il y avait des couches et des couches de tournesols. Hélas, ils étaient tous de la même hauteur ; l’impact sur le relief était donc assez minime. Ça marche mieux quand on est dans une forêt épaisse, avec des arbres de plusieurs formes ou dans une ville avec des bâtiments de tailles différentes.

 

Vous avez dû recréer le fameux passage du monochrome à la couleur en passant également du 4/3 au Cinémascope.

Sam Raimi a vraiment bien conçu ce plan. James était dans le panier du ballon dirigeable, au milieu d’un plateau énorme, et on a utilisé une caméra volante souvent employée lors de grands événements sportifs. Elle était accrochée à quatre câbles, donc elle pouvait se déplacer librement au-dessus du studio. On a calculé les mouvements de la caméra en préproduction et on les a chargés dans les moteurs.

À l’écran, on commence sur James qui sort sa tête du panier et la caméra entame un mouvement circulaire très ample. Tout le plan inclut des éléments réels, mais à la moitié, James et le panier sont rétrécis numériquement pour qu’on puisse atteindre une composition ultra large. Ce mouvement tournoyant fait toute la différence, je pense : il souligne la transition entre le 4/3 et le Cinémascope et la rend beaucoup plus fluide.

C’est encore aujourd’hui l’un de mes plans favoris du film. Il y a quelques semaines, je suis tombé sur Le Monde fantastique d’Oz à la télévision. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps et j’ai été très impressionné. Sam a vraiment conçu des plans extraordinaires.

 


Il va y avoir du ménage à faire dans La Cabane dans les bois...


Vous avez éclairé La Cabane dans les bois, qui est un hommage direct à Sam Raimi et Evil Dead 2.

Oui, du moins dans son premier acte, avant que le script et les enjeux ne soient entièrement renversés. Ç’a été une expérience assez surréaliste, notamment la scène où ils arrivent en camping-car et où la caméra révèle la cabane via un panoramique.

Drew Goddard était le maître à bord, bien plus que Joss Whedon. Bien sûr Joss avait coécrit le scénario, mais sur le plateau à Vancouver, mes conversations créatives se faisaient presque exclusivement avec Drew. J’ai de très bons souvenirs des séquences dans la salle de contrôle avec Bradley Whitford et Richard Jenkins, que je trouve très sarcastiques.

 

Vous avez travaillé avec Wes Craven sur les quatre Scream, en seconde équipe sur le premier et en tant que directeur de la photographie officiel sur les trois suivants. Le second, à notre sens, le meilleur de la saga.

Le second était un mélange de tournage en extérieurs et de travail en studio. La séquence de la voiture de police a posé quelques challenges : comme sur Jusqu’en enfer, nous devions sentir une certaine proximité avec les acteurs. Si j’avais opté pour une longue focale placée de l’autre côté du pare-brise, ça n’aurait pas été angoissant. Il fallait rester aussi subjectif que possible et je crois qu’on a réussi notre pari.

 


Omar Epps et Jada Pinkett Smith dans la très culte scène d'ouverture de Scream 2.


La séquence d’ouverture dans le cinéma a dû être passionnante à tourner.

Jou [...]

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