Carrière : Stephen Sayadian

Cinéaste, chef-opérateur et production designer de génie, Stephen Sayadian a été le directeur artistique du magazine Hustler avant d’élaborer des oeuvres érotiques uniques, où le sexe est dynamité par une sacrée dose de stylisation. Lors du dernier Offscreen Film Festival à Bruxelles, le tenancier du Café Flesh s’est confié.
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En quoi consistait votre travail de directeur artistique du magazine Hustler

J’ai rencontré Larry Flynt en 1975, il m’a engagé pour insuffler une forme d’humour satirique au sein de Hustler Magazine. À mes débuts, ils voulaient principalement mettre l’accent sur la satire et moins sur l’érotisme. C’était ma spécialité. Hustler n’acceptait pas de publier les campagnes de pub des grandes compagnies, parce que les marques avaient leurs exigences et cherchaient parfois à influer sur la ligne éditoriale. Nous concevions nos propres publicités pour des produits à usage sexuel – vibromasseurs, godemichets, etc. J’approchais ces articles avec humour, sans rester bloqué sur leur dimension sexuelle. Nos pages publicitaires ont eu un succès fou et nous vendions une quantité phénoménale de ces produits. En les découvrant, nos lecteurs se demandaient si c’était de vraies publicités ou seulement des pages humoristiques, mais ensuite, ils finissaient par commander. En trois ou quatre mois, ces campagnes sont devenues une grande source de revenus pour le magazine. Elles constituaient la majeure partie de mon boulot, jusqu’à ce que je me mette aussi à superviser la création des pages érotiques, mais de manière inhabituelle, en amenant des éléments souvent étrangers au sexe. J’ai opté pour quelque chose de conceptuel et de très stylisé. Petit à petit, je changeais l’identité du magazine via des notes de surréalisme et d’humour de gauche – avant mon arrivée, le magazine était relativement apolitique – au détriment de la pornographie classique. Nous sentions que ça n’allait pas durer… Lorsqu’Internet a fait son apparition, c’était terminé. Après la tentative d’assassinat sur Larry Flynt en 1978 (il fut la cible du tueur Joseph Paul Franklin, un suprématiste blanc qui, en 1975, n’avait pas supporté les actes sexuels entre une femme blanche et un homme noir dépeints dans le magazine – NDR), il n’avait plus les ressources nécessaires pour composer avec cette nouvelle donne. J’ai néanmoins continué à bosser pour Hustler pendant quelques années, en soutien à Larry. 


Par quel concours de circonstances avez-vous été amené à réaliser des affiches pour Fog (John Carpenter, 1980) et Pulsions (Brian De Palma, 1980) ?

Lorsque des tas de films classés X sont sortis en VHS, de nombreuses boîtes ont contacté mon studio pour savoir si je voulais créer des jaquettes. J’ai accepté car j’avais besoin d’argent. Mais quand les gens achetaient ces éditions vidéo, ils se plaignaient parce que les longs-métrages ne ressemblaient pas aux nouveaux visuels ! Toutefois, ces affiches nous ont permis de décrocher d’autres boulots, ce qui nous a fait dériver du porno au film d’horreur. C’est de cette façon que j’ai travaillé sur des oeuvres de Tobe Hooper, Brian De Palma, John Carpenter… Francis Delia s’occupait des photos et moi du concept initial et de la direction artistique. C’était un vrai business. J’aimerais que ces covers ressortent de nos jours, d’une manière ou d’une autre. En outre, j’ai réutilisé des éléments de sets conçus pour les affiches de Massacres dans le train fantôme (Tobe Hooper, 1981 – NDR) – un diable à ressort – et Pulsions – une baignoire – dans Nightdreams (1981). J’ai fait appel à la même imagerie. Plus tard, j’ai lu une interview de Brian De Palma qui disait qu’un de ses films à petit budget préférés était Nightdreams. La boucle est bouclée. Moi qui pensais qu’il allait me poursuivre en justice ! (rires) 


Nightdreams (réalisé par Francis Delia sous le pseudo F.X. Pope) est un des pornos les plus atypiques jamais conçus. De quelle manière avez-vous créé ces saynètes coquines à l’atmosphère psychotronique ?

En fait, je me suis occupé de la mise en scène de Nightdreams et Frank (Francis Delia – NDR) en était le cadreur. Nous n’étions que cinq ou six personnes dans l’équipe. Je n’aimais pas les mouvements d’appareil du film, c’est pourquoi j’ai préféré que Frank le signe de son nom. Le manque d’argent faisait que nous devions tous occuper plusieurs fonctions sur le plateau. Jerry (Stahl – NDR), Frank et moi, nous étions comme un groupe de rock. Nous aurions même pu nous passer des crédits du générique et uniquement préciser « un film réalisé par le Wolf Studio », mais c’était à moi que les producteurs avaient confié le budget. Le producteur principal – qui était le Président de Hustler – avait dit : « Ce type fait des choses très étranges, mais qui deviennent très rentables. ». Par conséquent, il nous a foutu une paix royale. En postproduction, Frank s’est chargé du montage et j’ai seulement travaillé sur le son. Beaucoup d’oeuvres érotiques négligent cet aspect. J’étais obsédé par le sound design, les diverses textures sonores, la musique électronique… Je voulais aussi que les Wall of Voodoo (groupe de punk rock américain originaire de Los Angeles – NDR) collaborent à la bande originale. Leur local de répétition se trouvait juste à côté de mon studio. C’est dommage que plus personne ne puisse visionner Nightdreams en 35 mm. C’est une véritable tragédie… (suite à un cambriolage, toutes les copies 35 mm de Stephen Sayadian ont disparu – NDR)


Nightdreams, comme les autres oeuvres sur lesquelles vous avez travaillé, orchestre un mélange de genres assemblés en un « tout organique ». Lorsque vous bossez sur un projet, vous basez-vous sur des visions que vous incorporez ensuite au récit, ou ces visions découlent-elles plutôt de l’histoire ?

En fait, j’ai des tas de dossiers à la maison, dans lesquels je répertorie tout ce qui me vient à l’esprit : des idées, des concepts… Je les note au gré de mon inspiration, mais ces éléments ne sont reliés à aucune histoire ou ébauche de scénario. Par exemple, quand je planchais sur Nightdreams, j’avais déjà en tête toutes les idées visuelles que je voulais voir à l’écran. Pour la séquence dite du « Cream of Wheat » (où un Noir est déguisé en paquet de céréa [...]

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