Carrière Shinji Higuchi

Pionnier des grosses productions japonaises à effets spéciaux, Shinji Higuchi a passé sa carrière à osciller entre live, animation, mise en scène et SFX, jusqu’à l’apothéose Shin Godzilla. Présent à Paris dans le cadre de la rétrospective 100 ans de cinéma japonais, il retrace pour nous avec verve et humour cet étonnant parcours, tout en explicitant sa relation un peu particulière avec un certain Hideaki Anno…
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Le plus ancien crédit qui figure sur votre filmographie est celui d’assistant effets spéciaux sur le remake de 1984 de Godzilla réalisé par Koji Hashimoto. Était-ce vraiment votre première expérience dans l’industrie cinématographique ?

À l’époque, les génériques ne se donnaient pas la peine de citer tous les gens qui avaient travaillé sur un film. Quand 60 personnes avaient bossé dans un département, on en citait seulement quinze. Je pense d’ailleurs que je ne suis pas cité au générique de ce Godzilla.


En effet, vous n’apparaissez pas officiellement au générique. 

Voilà. Bref, à cette époque, en 1984, j’avais 18 ans. Autant dire qu’avant, j’étais au lycée. J’adorais déjà le cinéma, mais à part ça, j’étais vraiment un lycéen comme un autre. Toutefois, j’ai eu l’occasion d’aller traîner dans des studios de cinéma pour faire de tout petits boulots. Je filais un coup de main pour la moindre tâche et c’est comme ça que j’ai commencé.


À cette époque, la hiérarchie des studios japonais était-elle aussi pesante que dans les années 50/60, où il fallait vraiment suivre et respecter une voie bien précise ?

Cette hiérarchie dont vous parlez a en effet régi pendant très longtemps le fonctionnement interne des studios. Mais elle existait parce qu’à l’époque, tous les gens qui bossaient sur les films étaient des salariés. De l’accessoiriste au réalisateur en passant par les acteurs, tout le monde était employé par les studios. C’est un fonctionnement qui a primé jusque dans les années 70. À partir de cette date, tous ces contrats ont été abolis, et tout le monde s’est plus ou moins retrouvé sur un pied d’égalité ; seuls demeuraient salariés les membres de la direction. Du coup, quand il fallait tourner un film, ils embauchaient au coup par coup, selon les besoins et les projets. Et c’est peut-être grâce à cette « instabilité » professionnelle que j’ai pu entrer plus facilement dans le milieu, alors que je n’étais personne. C’était un peu comme un job d’été pour étudiant. 


En 1987, on vous retrouve comme assistant réalisateur sur le très beau film d’animation Les Ailes d’Honnéamise de Hiroyuki Yamaga, sur lequel travailla également Hideaki Anno. Très tôt dans votre carrière, vous semblez donc attiré à la fois par le cinéma live et l’animation. Avez-vous, au début de votre parcours, pensé à privilégier l’un de ces domaines plutôt que l’autre ? 

Si vous voulez, je peux vous en parler, mais ça risque d’être long, et je ne sais pas si vous allez en tirer un article intéressant ! 


Tout ce que l’on connaît peu de votre carrière nous intéresse ! 

Alors c’est parti. Revenons en 1984 : je bossais un peu dans des studios, j’observais la façon dont on tourne un film, je mettais la main à la pâte… Et au final, j’étais totalement désespéré par ce que je voyais, c’est-à-dire tout un tas de gens qui se disaient professionnels et qui, en fait, accouchaient de films nuls. Je m’ennuyais terriblement devant ces longs-métrages, alors que je vivais en même temps leur fabrication. C’est à peu près au même moment que j’ai entendu parler d’un petit groupe qui, à Osaka, tournait des films 8 mm avec des effets spéciaux qui avaient plutôt l’air intéressant. Leur patron s’appelait Hideaki Anno et ce collectif deviendrait plus tard Gainax. Je me suis rendu à une séance de projection des films de ce collectif, et le gars qui m’avait amené là m’a présenté à Anno comme si j’étais un pro : « Hey, ce gars-là a travaillé dans les studios, c’est un vrai pro ! ». Alors que j’avais quitté le lycée depuis six mois et que je n’avais pas fait grand-chose entre-temps. Et là, Anno me dit : « On manque de personnel, est-ce que vous voulez venir nous donner des conseils ? ». Il me vouvoyait et me parlait comme si j’étais un vieux de la vieille ! J’ai accepté, et j’ai passé mon temps à faire des aller-retour entre Tokyo et Osaka pour aller leur filer des coups de main. Je n’étais pas payé bien sûr, mais je me sentais extrêmement libre. Ces gars-là étaient vraiment passionnés par ce qu’ils faisaient, et moi aussi du coup. J’ai fini par m’installer à Osaka pendant un an. Le souci, c’est qu’on ne gagnait pas d’argent, on était fauchés, on se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire de nos vies. On se disait toujours : « Qu’est-ce qu’on tourne ? ». Et là, nous avons été contactés par le fabricant de jouets Bandai, et on a fini par leur promettre de réaliser un film animé pour eux. En revanche, il fallait que ça se fasse à Tokyo. Donc retour à la case départ. J’appréciais depuis toujours l’animation, mais je n’étais pas vraiment sûr de la façon d’en réaliser ! Mais j’étais bloqué, j’avais emprunté de l’argent au groupe d’Anno et je leur étais redevable. J’ai donc dû m’y mettre, et c’est donc comme ça que je me suis retrouvé à faire de l’animation sur Les Ailes d’Honnéamise. Par nécessité ! (rires) 


En 1988, on trouve votre nom au générique de Kujaku ô, une coproduction Hong Kong/ Japon mise en scène par Lam Ngai Choi et Yuen Biao. Quelles différences avez-vous pu constater entre la méthode japonaise et la méthode hongkongaise, connue pour être aussi dynamique que bordélique ? 

Ah ça oui, c’était bordélique ! (rires) Mais aussi débordant d’énergie. C’était extrêmement stimulant, dès qu’on avait une idée, on la testait. Ça m’a donné envie de m’installer à Hong Kong pour faire des films. D’ailleurs, le producteur chinois de Kujaku ô, Lam Chua, qui était le numéro 2 de la Golden Harvest (également producteur de Mister Dynamite et Story of Ricky – NDLR), m’a proposé de rester à Hong Kong pour concevoir les effets spéciaux d’un autre film. Et finalement, j’ai vécu un an là-bas ! 


Quel était ce second film ? 

Je crois que ça datait de 1989, et le titre était The Cat (à nouveau réalisé par Lam Ngai Choi, et finalement sorti en 1991 – NDLR). Ça parlait d’un chat noir qui était possédé par l’esprit d’un extraterrestre, et qui était confronté au chien policier le plus balaise de Hong Kong. Il y avait donc beaucoup d’effets spéciaux, et on avait plein de chats différents sur le tournage. Et un jour, le chien ne s’est pas contrôlé, et malgré le câble qui le retenait, il s’est jeté sur le chat qui tournait le plan et l’a tué ! Du coup, le producteur, qui était un amoureux des chats, a dit au réalisateur : « Bon ben toi, je ne veux plus te voir, tu peux t’en aller. ». Il l’a viré ! Et parmi les gens qu’il avait sous la main et qui savaient le mieux ce qu’il fallait tourner, et bien… il y avait moi ! Du jour au lendemain, je suis donc devenu réalisateur et j’ai bossé sur la mise en scène de ce film pendant environ deux mois. 


1990, c’est l’année de la série animée Nadia, le secret de l’eau bleue, adaptation assez libre de Vingt mille lieues sous les mers, sur laquelle vous débutez comme story-boardeur avant d’en réaliser plusieurs épisodes. Vous retrouvez là Hideaki Anno et vous rencontrez Hayao Miyazaki, scénariste sur la série. Voyez-vous Nadia comme un tournant dans votre carrière ? 

Il faut reprendre le cours de l’histoire pour comprendre comment je suis arrivé sur Nadia. J’étais toujours à Hong Kong, à travailler sur The Cat, mais j’ai commencé à avoir des problèmes de visa en même temps que le film a eu des problèmes de budget – ça, ce n’était pas de ma faute, je tiens à le préciser. (rires) Et un jour, le producteur me dit : « Bon, je vais vous payer ce mois-ci, mais à partir du mois prochain, je n’ai plus d’argent pour vous. ». Du coup, vu que mon visa touchait à sa fin, je me suis dit que & [...]

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