
Carrière : Sergio Salvati

Parlez-nous de vos débuts. Vous avez notamment été l’assistant de Tonino Delli Colli, le directeur photo du Bon, la brute et le truand de Sergio Leone…
Mon père était déjà technicien de cinéma, il était machiniste. Ainsi, j’ai toujours eu le 7e Art dans la tête et le coeur, et j’ai commencé à travailler sur les plateaux de tournage dès l’âge de 17 ans. En effet, je n’ai jamais fait d’école. Ce n’est pas que j’aie quelque chose contre les écoles de cinéma : simplement, je n’ai pas eu la possibilité d’y aller, et j’ai donc été formé sur le tas comme assistant-opérateur. Là, j’ai eu quatre maîtres qui m’ont beaucoup, beaucoup appris. Le premier a été Enzo Serafin, un grand chef-opérateur des années 1945-60, qui m’a pris sous son aile quand j’avais 17 ans. Ensuite, il y a eu Tonino Delli Colli, un extraordinaire directeur de la photographie qui était capable de régler un éclairage en cinq minutes. Le Bon, la brute et le truand m’a laissé un souvenir merveilleux, notamment à cause de la solidarité qui existait entre Delli Colli, Sergio Leone et moi, comme nous venions tous trois du quartier du Trastevere à Rome. Leone était vraiment infatigable, aussi bien sur le plateau que dans sa vie privée. À la fin de la journée, il nous demandait toujours si la nourriture était bonne, si nous étions bien installés pour dormir, si nous avions un ami de passage qui nous ferait passer une bonne soirée. Car Le Bon, la brute et le truand a été entièrement tourné en Espagne, à Almeria, Madrid et Burgos. Sergio Leone s’intéressait à tout et à tout le monde, ce qui ne l’empêchait pas d’être un grand homme de cinéma sur le plateau. Ensuite, j’ai fait trois longs-métrages comme assistant de Leonida Barboni, et mon dernier maître a été Ennio Guarnieri. Avec ce dernier, j’ai notamment été caméraman sur les films réalisés par Pier Paolo Pasolini. En fin de compte, ces quatre grands chefs-opérateurs m’ont tous appris quelque chose, et un jour, je me suis dit que je me sentais prêt pour débuter comme directeur de la photographie. Bref, j’ai débarqué sur les plateaux de tournage à l’âge de 17 ans, et cela me fait donc 65 années complètes dans le cinéma.
Dont un certain nombre d’années aux côtés de Lucio Fulci…
Oui, j’ai fait onze films avec Lucio, et dans une carrière de directeur de la photographie, c’est rare de travailler aussi longtemps avec un réalisateur. Pour autant, nous n’avons pas fait seulement de l’horreur : nous avons aussi fait une comédie (Il cav. Costante Nicosia demoniaco, ovvero : Dracula in Brianza, 1975 – NDR) et un polar sur la mafia napolitaine. D’ailleurs, j’ai connu Lucio Fulci parce qu’on m’avait demandé de m’occuper de la seconde équipe de son film Le Retour de Croc-Blanc, tourné en Autriche. Là, j’ai notamment fait les images des génériques de début et de fin, sur lesquelles défilaient les noms des acteurs et des techniciens. Et quand ils ont vu le matériel que j’avais tourné, les producteurs m’ont rappelé, car ils mettaient en chantier un nouveau film de Fulci. C’est ainsi que je suis resté lié à Lucio à travers les années.
La photo du western 4 de l’apocalypse est très particulière. C’était pour donner l’impression d’une histoire quasi biblique ?
Vous avez raison : pour les séquences enneigées de la fin, j’ai utilisé un filtre qui était alors commercialisé par Kodak. Ce filtre adoucissait l’image, la rendait plus évanescente, pour faire comprendre qu’on n’était plus dans une réalité quotidienne, mais dans un événement de l’ordre du merveilleux. Car je me sentais émotionnellement investi dans une situation qui, comme vous le dites, a des résonances quasi religieuses. Un enfant naît, et la question est de savoir qui va l’accompagner dans la vie : son père ? Un inconnu ? Un village de mineurs ? Pour exprimer cela, j’ai employé un filtre qui me donnait une lumière un peu… oui, voilée.
Et Fulci vous donnait des indications précises pour la photo ?
C’est difficile de répondre. Bien sûr, il me demandait parfois une lumière plus basse ou plus haute, une couleur particulière, une image plus ou moins lisse. Et c’est logique qu’un réalisateur donne de tels conseils à un directeur de la photographie. Mais le plus important, c’est que Lucio et moi avons pratiquement vécu ensemble. En effet, nous avons tourné tous ces films à l’étranger. À Rome, qui est le centre du cinéma italien, à la fin de la journée, on se dit souvent : « Ciao, bonsoir, à demain. ». Or, nous avons tourné pour l’essentiel dans d’autres pays, comme les États-Unis ou l’Espagne. Même la comédie a été faite à Milan, et le polar à Naples, pas à Rome. Du coup, si l’on peut dire, nous étions ensemble jour et nuit. (rires) Après avoir travaillé pendant toute la journée, nous dînions au restaurant, puis nous passions la soirée dans le hall de l’hôtel pour parler encore et toujours de cinéma. Car Lucio était un grand bavard, ainsi qu’un homme très cultivé. Vous savez, il a écrit deux ou trois des plus gros tubes de la chanson italienne, et il a aussi signé beaucoup de scénarios pour d’autres réalisateurs. Pour autant, il n’était pas très aimé dans le cinéma italien, à cause de son caractère. Sur le plateau, il était toujours agité, à crier d’une voix haletante : « Faisons cela, allons-y vite, c’est bon, passons au plan suivant. ». Mais malgré ses pires défauts, ses coups de colère et son impétuosité, c’était très agréable de travailler avec lui. Encore une fois, c’était un homme de grande culture, qui savait beaucoup de choses sur le cinéma et la poésie, et qui était aussi un très bon conteur d’anecdotes. Tout cela pour dire qu’entre lui et moi, cela a été une union professionnelle totale, qui m’a permis d’élaborer une photographie qui le satisfaisait. Car je suivais sa sensibilité pour fixer le caractère des films, à travers les blancs et les noirs, les couleurs. Nous avons développé cette approche sur douze films, y compris ceux qui n’avaient rien d’exceptionnel en termes de photographie, comme la comédie ou le western Selle d’argent. Ils sont aussi soignés que les autres, et leur image a quand même un caractère particulier.
Dans La Guerre des gangs, vous montrez une Naples inhabituelle, hivernale et grise. Et de manière générale, vous vous êtes appliqué à prendre des endroits chauds et paradisiaques, comme la Saint-Domingue de L’Enfer des zombies ou le sud des États- Unis dans Frayeurs et L’Au-delà, pour les transformer en enfers brumeux. L’idée de faire des espèces de contes de fées noirs ?
Bravo, c’est une très bonne interprétation. Le polar napolitain était davantage ancré dans une réalité quotidienne, mais nous avons essayé de lui conférer un caractère violent au moyen des images. Là, les images n’étaient pas délicates, non : au contraire, elles étaient tranchantes, grâce à des noirs et des blancs assez forts. Le truc, c’est que je lisais attentivement le scénario dès le début de la production. À partir de là, je me forgeais une idée de la balance des blancs et des noirs, des effets colorés. C’était une création instinctive, et de toute façon, nous devions toujours aller assez vite. À l’époque, il y avait 50 personnes dans l’équipe, et il n’était pas question de gaspiller des heures de tr [...]
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