Carrière : Sergio Martino

Invité du dernier festival Offscreen de Bruxelles, l’auteur de plusieurs classiques du giallo nous parlait bien sûr de ses thrillers baroques, mais aussi de sa vocation de cinéaste commercial et vraiment tout-terrain.
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Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire votre autobiographie, parue récemment en Italie ?

D’abord, un éditeur me l’a demandée. Cependant, quand on arrive à un certain point de son existence, on ressent le besoin de tirer des leçons de ce qui nous est arrivé. Car en fin de compte, j’ai exercé un métier qui, dans un premier temps, a été très gratifiant économiquement : j’ai beaucoup travaillé, et très bien gagné ma vie. Puis, étrangement, à la fin de ma carrière, j’ai aussi reçu une grande considération, de la part d’une certaine presse et d’auteurs comme Quentin Tarantino, Eli Roth, Jaume Balagueró. Ils ont dit que ce type de cinéma italien avait été formateur pour pas mal de réalisateurs à travers le monde, et aussi pour l’industrie dans son ensemble. Ma période de grande activité a en effet coïncidé avec les derniers moments pendant lesquels notre cinématographie a réussi à être compétitive dans le monde entier. Tout cela m’a fait penser que mon bilan n’était peut-être pas aussi mauvais que certains voulaient le croire. J’ai ainsi intitulé mon livre Mille peccati… nessuna virtù ? (traduction : « Mille péchés… aucune vertu ? » – NDR), en référence à un article écrit il y a des années par un critique. Il disait que le titre de mon premier long-métrage (le documentaire-choc Tous les vices du monde/Mille peccati… nessuna virtù – NDR) était emblématique de l’ensemble de ma carrière, car j’avais fait…


Mille films, sans aucun de bon ?

Oui, et comme j’ai l’esprit ironique, j’ai repris la formule. Mais à la lumière de cette nouvelle considération que j’avais obtenue, j’ai ajouté un point d’interrogation, pour demander au lecteur si tout ce que j’avais fait était effectivement aussi nul que cela.




Dans le livre, vous racontez beaucoup d’anecdotes de tournage. Vous vouliez faire un manuel de débrouillardise à l’usage des jeunes cinéastes ?

Le premier signe tangible de reconnaissance que j’ai eu date des années 1990, quand j’ai été invité à Paris par la Cinémathèque Française. J’ai été surpris par le nombre de spectateurs venus voir mon film Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé en salle, puisqu’à l’instar de mes collègues du genre, j’avais été considéré jusque-là comme un réalisateur trash. Cela a donc été le début d’une réévaluation, et j’ai alors expliqué qu’il s’agissait de longs-métrages que j’avais faits avec peu de moyens, mais qui avaient très bien marché. Et une personne de la Cinémathèque a dit que le génie de ce cinéma-là résidait justement dans l’art de se débrouiller, en utilisant l’intelligence et l’imagination pour attirer quand même le public. Car, encore une fois, nous avons réussi, dans une certaine mesure, à concurrencer le cinéma commercial américain. En Extrême-Orient, ils achetaient mes films de la même manière qu’ils achetaient ceux de Clint Eastwood ou les James Bond. Évidemment, Polices parallèles en action marchait moins bien que L’Inspecteur Harry. Mais il engrangeait quand même de bonnes recettes, et comme les distributeurs l’avaient payé moins cher, mon film restait compétitif. Cette situation s’est cependant délitée quand sont arrivés les grands effets spéciaux américains, car nous étions totalement incapables de produire de tels trucages.


L’aveuglement de la critique n’en était pas moins étrange. Par exemple,Polices parallèlesest à la fois un polar efficace et un témoignage direct sur la violence politique de l’Italie des « Années de plomb »…

C’est vrai, et mon second polar, La Ville accuse, est encore plus explicite. Il raconte une chose qui n’a jamais été prouvée mais qui est fort probable, c’est-à-dire que les services secrets étaient clairement impliqués dans les crimes de cette époque. Donc, oui : à travers un spectacle populaire, ce type de film essayait de faire passer un discours précis. C’était pourtant considéré comme un cinéma de série B qu’il ne fallait pas voir. La critique italienne était toujours négative, et je soupçonne même que les journalistes ne voyaient pas les films. Ils en disaient du mal par idéologie, pour des questions d’appartenance : comme c’est un réalisateur commercial, son but doit être seulement de gagner des sous. Il y a bien sûr une part de vérité là-dedans, mais faire de l’argent avec une industrie me semble être une finalité valable. (rires) J’ai entendu des interviews de cinéastes américains du genre Steven Spielberg, à qui on demandait lequel de leurs films ils avaient le plus aimé faire. La réponse : « Celui qui a eu le plus gros box-office. ». (rires) Bref, même Spielberg, qui a pourtant réalisé de très beaux films, a comme première idée en tête le fait que l’industrie a besoin que ton long-métrage couvre ses dépenses, et engrange un bénéfice. Car en dernier ressort, derrière l’industrie, il y a un producteur qui investit son argent dans l’espoir d’en gagner ensuite. Et il y a aussi un tas de gens qui trouvent là du travail, et qui, si le film marche bien, pourront probablement en faire un autre !


Et vous, quel est votre film préféré ?

J’en ai tourné tellement qu’il m’est difficile de répondre. Par exemple, je trouve que Le Continent des hommes poissons tient encore le coup aujourd’hui. Bien sûr, le temps a passé et les effets spéciaux ne sont pas ceux de maintenant, mais je crois que le film fonctionne toujours dans sa volonté d’être une sorte de fable. J’affectionne aussi un long-métrage peut-être moins connu des fans, intitulé L’Initiatrice et qui raconte les obsessions et les inhibitions des gens de ma génération, lorsque nous avions 15 ans. À mon avis, il n’accuse pas non plus l’usure du temps quand on le revoit aujourd’hui.


Je me souviens d’une scène frappante, où l’aristocrate incarné par l’excellent Riccardo Cucciolla s’octroie le droit d’assister à la toilette de la fille adolescente d’une domestique, comme un seigneur aux temps féodaux…

Oui, je voulais montrer l’hypocrisie d’un certain milieu du Sud de l’Italie, hyper catholique en apparence mais cachant [...]

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