Carrière : Ryuhei Kitamura
Vous avez été révélé par Versus, l’ultime guerrier, un film 100 % indépendant mélangeant de façon expérimentale action et horreur.
Effectivement Versus n’est pas un film d’horreur basique. Au début des années 2000, il a été projeté au festival de Yubari, qui est l’une des plus grosses manifestations cinématographiques du Japon. On n’avait même pas de distributeur ! L’un des membres du jury était Mataichirô Yamamoto, le seul producteur nippon à avoir travaillé avec George Lucas. Ils ont fait ensemble un excellent film intitulé Mishima – une vie en quatre chapitres en 1985 (réalisé par Paul Schrader – NDLR), puis en 1992, il a collaboré avec Francis Ford Coppola pour produire Wind de Carroll Ballard. C’était une légende vivante, et il est venu voir Versus ! Je l’ai rencontré après la projection, et on a discuté dans un tout petit bar jusqu’à trois heures du matin. Il a pointé du doigt une chose que personne d’autre n’avait remarquée. Tout le monde me parlait de l’action, des zombies, des samouraïs, etc. Oui, tout ça m’amusait aussi, mais Yamamoto s’est concentré sur autre chose. Pendant le Q&A, j’avais expliqué le financement complètement fou du film : mon enveloppe de départ de 15.000 dollars s’était épuisée en dix jours, et j’avais dû emprunter de l’argent supplémentaire à tous mes amis et mes proches. Yamamoto m’a dit : « Tu n’as jamais abandonné, alors qu’il n’y avait aucun producteur, aucun sponsor, aucun distributeur. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est ton obstination à tourner la plupart de tes plans en Dolly ! Quand on est un amateur avec zéro budget, on opte pour la caméra portée. C’est beaucoup plus facile, mais tu as pris la peine d’installer des rails de travelling dans la jungle ou sur une colline ! ». J’étais tellement content d’entendre ça. Quelqu’un avait enfin remarqué ! Je l’ai remercié de tout mon coeur et lui ai dit : « Je voulais faire un putain de film, pour un gigantesque écran de cinéma ! Et ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’argent qu’on doit avoir l’air fauché ! » Je le pense toujours. Le public se fout totalement du budget. Il paie le même prix, donc on doit lui en donner pour son argent. En entendant ça, Mataichirô a répondu : « Je veux que tu fasses mon prochain film. ». Et c’était Azumi !
Après Azumi, vous avez tourné Godzilla: Final Wars, en rupture totale avec les épisodes un peu obsolètes de l’époque.
Godzilla: Final Wars est un peu arrivé de nulle part. Yamamoto avait dû se battre pour que j’obtienne le job sur Azumi, car je n’étais personne ! Versus n’était même pas encore sorti, donc tout le monde lui demandait : « Qui est ce type ? Tu veux lui confier notre plus gros budget de l’année ? Tu es devenu cinglé ? ». Je lui dois vraiment beaucoup, et au final je reste très fier d’Azumi. Quand on fait un film, il y a un million de choses qui peuvent vous mettre dans une merde noire, un million de raisons de se planter, et j’ai toujours tendance à chercher l’ennemi qui se cache à l’intérieur. S’agit-il d’un producteur, d’un technicien ? Il y a toujours quelqu’un pour essayer de vous mettre des bâtons dans les roues. Mais quand le film sort enfin en salles, il est ce qu’il est et il faut l’assumer comme tel. Il faut vivre avec jusqu’à la fin de ses jours. Heureusement, je n’ai jamais eu honte d’aucun de mes films. Azumi a été mon premier long-métrage professionnel, et il m’a permis de rendre hommage à l’univers d’un manga que j’adore. C’était une adaptation, contrairement à Versus qui était mon bébé à 100 %. Adapter l’oeuvre d’un autre est un processus très difficile. C’est une responsabilité plus grande, car il y a une histoire et un vécu derrière tout ça. J’ai donc mis toute mon énergie dans Azumi, et ça m’a fait passer au niveau supérieur. Le jour de la première, j’ai rencontré le big boss de la Toho, Yoshishige Shimatani. Nous avons pris un café à Tokyo et il m’a dit : « J’aime beaucoup ce que vous avez fait. Nous avions beaucoup de doutes à votre égard, mais vous nous avez convaincus. Toho veut que vous fassiez le prochain Godzilla. ». Je l’ai remercié de tout mon coeur ! Ils m’ont appelé quelques jours plus tard, et j’ai rencontré le producteur Shôgo Tomiyama. Il m’a demandé : « Voulez-vous entrer dans le ring et vous battre avec Godzilla ? ». J’ai essayé d’être respectueux et honnête à la fois. Je lui ai répondu : « J’adore Godzilla, évidemment, pour un réalisateur japonais, c’est un grand honneur. Et en plus, ce film marquera le cinquantième anniversaire de la saga, et vous me dites qu’il n’y aura pas de nouvel épisode avant un moment ! Donc oui, je suis un grand fan de Godzilla, mais je dois avouer que je n’aime pas les films qui sont sortis après le nouveau millénaire. ». Et c’est vrai : visuellement, je n’aime pas ce qu’ils ont fait. Les effets visuels avec les costumes de monstres et les miniatures fonctionnaient il y a quelques décennies, mais les temps ont changé. Independence Day avait ringardisé les vieilles techniques, et on ne pouvait plus tourner des scènes de destruction massive comme dans les années 50 ! Et il ne fallait pas non plus sur-éclairer chaque parcelle du plateau, sinon le spectateur devient conscient plan après plan qu’il est face à des miniatures et des types en costume ! À l’époque, Godzilla était en train de perdre son influence au Japon. Ils produisaient un nouveau film presque chaque année, mais le département animation de la Toho était le seul à rapporter de l’argent. Ils faisaient souvent des projections de type « double feature », en combinant le dernier Godzilla avec un animé pour les gosses. Les gens venaient pour l’animé, et partaient au début de Godzilla ! J’ai donc dit à Tomiyama : « Franchement, Godzilla n’est pas une face B. Godzilla est le roi ! ». Il m’a alors répondu qu’ils étaient bien conscients du problème, et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’ils voulaient faire une pause avec la franchise. Ils m’ont engag Il y a une scène très drôle où Godzilla annihile Zilla, la version de Roland Emmerich.
Tomiyama avait déjà un concept assez brut de Final Wars quand je suis arrivé : il voulait réanimer quelques monstres célèbres de la saga. Un jour, pendant l’écriture du script, on a amené toutes ces figurines de kaijus dans les bureaux de la Toho et on les a posées sur la table. On a choisi nos protagonistes comme ça ; je voulais en inclure le plus possible, mais on ne pouvait pas avoir tout le monde. À un moment, Tomiyama s’est tourné vers moi et m’a dit : « Tu sais, on a même les droits du Godzilla hollywoodien ! » « Quoi ? OK, on va inclure un combat entre lui et Godzilla, et le nôtre va défoncer la gueule de l’Américain ! Il faut absolument faire ça ! ». Je voulais tourner une séquence beaucoup plus longue, mais on n’avait plus assez de budget. Je reste très content de cette scène. Elle a d’ailleurs été filmée à Sydney en Australie, où j’ai fait mes études de cinéma. C’était sympa de retourner là-bas : c’est presque mon second chez-moi.
Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans l’adaptation de Midnight Meat Train ?
Avec Versus et Azumi, je suis devenu du jour au lendemain une sorte de vedette, et ça m’a donné des ailes. J’ai tourné Aragami, Sky High, je me suis éclaté comme un dingue. Mais après avoir travaillé pendant plus d’un an sur Godzilla, je me suis dit que j’avais besoin de m’éloigner de la production japonaise pendant un temps. Mes proches m’ont dit que j’étais devenu fou. Après tout, je venais d’enchaîner trois cartons au box-office local. On m’a dit : « Tu veux abandonner ça et aller à Hollywood, où personne ne te connaît ? ». Mais j’ai toujours vécu ma vie ainsi. Donc, après Final Wars, j’ai pris six mois de vacances, et j’ai engagé un agent aux États-Unis. C’est comme ça que ça se passe là-bas, on doit être représenté soit par un manager, soit par un agent. Cette personne vous envoie un script et si vous l’appréciez, vous le lui faites savoir. Vous êtes alors propulsé dans une sorte de compétition infernale : un producteur sélectionne en général une vingtaine de réalisateurs potentiels, via les agents, et vous devez pitcher ce que vous voulez faire avec leur film. La route est très longue. On commence à vingt, puis on passe à cinq, puis à trois, et ensuite à un. Je vivais encore au Japon quand mon agent m’a parlé d’un projet. Il m’a envoyé le scénario, et ça s’appelait Fast and Furious 3. Il insistait vraiment pour que je le fasse, car c’était un très gros budget. Et comme ça allait se tourner au Japon, j’étais le candidat idéal ! J’ai passé quelques entretiens avec les exécutifs, et je leur ai envoyé toute une liste de notes pour modifier le script. Je suis quelqu’un de très direct, et je leur ai dit que ça ne me gênait pas forcément qu’un film américain puisse offrir une vision un peu caricaturale du Japon. En revanche, je ne pouvais pas faire ça moi-même ! Le scénario ne semblait pas du tout se dérouler au Japon, et je ne voulais pas manquer de respect à mon propre pays. Je leur ai donc suggéré plein de changements et j’ai même travaillé sur quelques stor [...]
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