Carrière : Russel Mulcahy
Si vous avez réalisé votre premier long-métrage avec Razorback, c’est parce que vous avez été frappé par le scénario ?
C’était vraiment tout le contraire. Comment vous raconter ça ? Je suis tombé amoureux du cinéma à un très jeune âge, même si la plupart des films d’horreur étaient interdits en Australie quand j’étais enfant – ils n’ont été autorisés que vers 1969. Or, ma mère était née en Angleterre, et elle y avait vu beaucoup de choses. Chaque matin, au petit déjeuner, elle me faisait donc des descriptions saisissantes de L’Homme au masque de cire, Dr. Jekyll et Mr. Hyde ou Double assassinat dans la rue Morgue. Du coup, je me suis mis à collectionner des images que je découpais dans les magazines, et le mur de ma chambre était couvert de photos du Loup-Garou, de la Créature de Frankenstein, etc. Puis, alors que j’avais peut-être 10 ans, j’ai vu dans un drive-in Le 7ème voyage de Sinbad, avec les trucages de Ray Harryhausen. Et quand le cyclope est apparu sur l’écran, je me souviens m’être dit : « Ça, c’est magique. Je veux être capable de faire la même chose. ». Ma mère m’a alors acheté une caméra, et j’ai commencé à tourner des courts-métrages. L’un d’eux a récolté un prix en 1976, et j’ai essayé de m’en servir pour entrer dans une école de cinéma. Mais ils ont dit que ce n’était pas ce qu’ils recherchaient, que c’était trop étrange, trop dégoûtant. Et ils m’ont refusé, ce qui est peut-être la meilleure chose qui me soit arrivée. Après avoir travaillé au montage des actualités télévisées, j’ai appris mon boulot sur le tas, en expérimentant dans la réalisation de clips musicaux. J’en ai fait en Australie pour des groupes comme AC/DC, puis en Angleterre pour Elton John ou Duran Duran, et on m’a ensuite envoyé en Amérique, où j’ai tourné les clips de Video Killed The Radio Star et Bette Davis Eyes. Sur certains comme Hungry Like The Wolf de Duran Duran, j’ai recadré l’image en mettant des bandes noires en haut et en bas, pour que ça ressemble plus à du Cinémascope. Car comme j’étais un réalisateur de longs-métrages frustré, je haïssais l’écran 4/3 de la télé. Mais une nuit, j’ai reçu un coup de fil de Hal McElroy, que je connaissais d’Australie et qui avait produit des films de Peter Weir comme La Dernière vague. Il avait vu le clip de Hungry Like The Wolf et il m’a demandé si j’aimerais revenir en Australie pour réaliser un long-métrage. Oui, OUI ! Absolument ! Et ce n’est que 10 minutes après que je lui ai demandé de quoi le film parlait. (rires) Il m’a répondu : « Ah… C’est sur un sanglier tueur géant, un cochon. ». Je lui ai dit que c’était parfait, que c’était génial.
Mais vous n’avez pas été intéressé par la structure du scénario, où on n’est jamais sûr de qui est le personnage principal ?
Je voyais surtout l’histoire comme celle de l’Américain joué par Gregory Harrison, qui vient chercher ce qui est arrivé à sa femme. Il y a une opposition dans les paysages, vous voyez ? Il arrive de New York, et bang : il se retrouve au milieu de l’Outback australien, étranger sur une terre étrange et parmi des gens étranges. Bon, j’ai pris pas mal de licence créative, en rendant le paysage un peu plus bizarre qu’il ne l’est normalement. Les habitants ne sont pas non plus tout à fait comme ça ! (rires) Mais je voulais que le public ressente que le personnage était vraiment en dehors de sa zone de confort. L’environnement peut vous tuer, les gens peuvent vous tuer, et le cochon peut vous tuer. Oui, je voulais créer un sentiment d’agoraphobie autour d’un gars qui ne sait plus où il est. Et au long du film, il essaye de regagner la maîtrise de sa position.
La première apparition du Razorback est à la fois elliptique et fulgurante : on dirait une locomotive qui traverse soudain la maison…
Oui ! J’ai organisé une projection privée pour Elton John quand il a été de passage à Sidney, pour le remercier de m’avoir donné sa chanson Blue Eyes, qui passe à la radio pendant le film. Il m’a dit : « Oh mon dieu, quand cette chose rentre dans la maison, c’est comme le train express de 5 heures 30. ». (rires) J’ai procédé ainsi pour deux raisons. La première, c’est que dans la plupart des cas, moins vous en voyez, mieux c’est. Même La Guerre des mondes de George Pal montre à peine les extraterrestres, mis à part leur main posée sur une épaule. De plus, nous étions très limités techniquement, car c’était une époque où il n’y avait pas encore de CGI, ni rien de semblable. Nous avons donc utilisé une tête mécanique pour les gros plans, et pour les plans larges dans le désert, c’était juste un très gros cochon avec des éléments de caoutchouc accrochés sur lui. En contre-jour devant le crépuscule, cela lui donnait une silhouette effrayante. Bref, il y avait ce qu’on appelle en anglais des miroirs enfumés. Vous connaissez l’expression ? Un peu de supercherie, quoi. Sur Razorback, j’ai aussi appris à travailler avec les acteurs, même si j’avais moi-même joué sur scène dans ma jeunesse. Pour le reste, nous avons tourné très rapidement, car d’une certaine manière, j’avais toujours la mentalité que j’avais acquise en réalisant des clips.
Justement, vous aviez conscience des débats qui faisaient alors rage, quant à une possible contamination du cinéma par l’esthétique du clip ?
Non, car j’ai toujours eu un grand respect pour le cinéma. Pour moi, il n’y a rien de plus magique que d’être dans le noir avec une foule et un grand écran : c’est un théâtre de rêves. Pour autant, j’ai probablement apporté une part de ma sensibilité de clippeur dans mes premiers longs-mét [...]
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