Carrière : Richard Kelly

Avec seulement trois films à son actif en 18 ans de carrière, Richard Kelly n’est assurément pas le cinéaste le plus prolifique qui soit. Une situation qui révèle surtout un besoin obsessionel de maîtrise artistique totale. C’est en tout cas ce que nous a expliqué le réalisateur, de passage à Paris pour faire la promotion de la ressortie de Donnie Darko, le 24 juillet chez Carlotta Films.
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Peu de gens ont vu les courts-métrages que vous avez réalisés avant Donnie Darko. À quoi ressemblaient ces travaux de jeunesse et entretiennent-ils un lien thématique avec les films que vous avez signés par la suite ? 

Je pense que oui. L’un d’eux est disponible sur YouTube, si les gens souhaitent y jeter un oeil. Il s’appelle The Goodbye Place et je l’ai tourné en 1996 à l’Université de Californie. C’est un petit film de huit minutes tourné en noir et blanc. Mes autres courts restent quant à eux enfermés dans un coffre, je ne les ai pas vus depuis des années. Cependant, je pense qu’ils contiennent de nombreuses idées qui m’ont permis de développer mon esprit créatif et mon travail sur la narration quand j’étais à la fac. C’était une sorte d’atelier d’idées qui m’a logiquement conduit vers mon premier long-métrage, Donnie Darko


Comment conçoit-on une oeuvre aussi étrange et unique que Donnie Darko ? Lors de sa sortie en salles, le film était très excitant car il affichait clairement un style atypique…

Je crois que j’ai essayé de mélanger de nombreuses influences. La métaphore que j’utiliserais est la suivante : tourner un film, c’est un peu comme préparer un gâteau. On essaie de trouver les bons ingrédients et de les marier harmonieusement pour que le résultat s’avère parfaitement dosé et digeste. Parfois, on réunit de mauvais ingrédients ou on se trompe sur le dosage, et le gâteau s’écroule ou n’a pas bon goût. Dans le cas de Donnie Darko, je cherchais surtout à donner un aspect organique à mes idées, à concevoir une fondation solide avec des personnages dont les motivations auraient assez de sens pour toucher le public. Je voulais maîtriser chaque élément du film. De plus, je m’identifie beaucoup à Donnie, à qui j’ai donné des traits issus de ma propre personnalité et, à ce titre, j’ai eu beaucoup de chance de travailler avec Jake Gyllenhaal. C’est un acteur phénoménal et il a beaucoup apporté au rôle. 


D’autant qu’il était quasi inconnu à l’époque. Il confère beaucoup de nuances à un personnage d’adolescent imparfait, capable de se montrer tour à tour drôle et sinistre, faible et courageux. 

Je voulais qu’il paraisse authentique, et c’est sûrement ce qui fait de lui une sorte d’antihéros. Donnie est perturbé, voire un peu dangereux. L’Histoire du cinéma et de la littérature est faite d’antihéros de ce type, des gens qui luttent contre l’impossible et doivent faire face à des choix difficiles.



C’est un peu le cas dans les trois films que vous avez réalisés. 

Oui, et aucun de ces trois protagonistes ne survit à la fin. (sourire) Je crois que j’aime créer des personnages plongés dans un certain ennui avant d’être poussés au sacrifice pour sauver les autres. C’est peut-être lié au christianisme dans lequel j’ai baigné étant enfant… Je ne sais toujours pas si j’ai rejeté ce dogme ou si j’ai fini par y succomber. Ces notions de martyr, de sacrifice et de résurrection sont dans mon ADN depuis que je suis gamin. 


Revenons à votre analogie culinaire : à la différence d’un cuisinier, vous devez gérer beaucoup de producteurs qui surveillent la moindre de vos décisions artistiques. Pourtant, vous paraissez plutôt confiant dans le making of de Donnie Darko

Je savais que c’était ma seule chance d’y arriver. Il est plutôt rare de pouvoir réaliser son premier film à 25 ans. Si mon équipe a compris ce que je voulais faire, les financiers, eux, étaient plus sceptiques. J’ai donc dû lutter pour conserver l’originalité du film et lui permettre d’arriver à maturité. Je pensais qu’il était essentiel de montrer la singularité de mon cinéma. J’ai dû tenir bon pour donner vie à Donnie Darko, même si finalement, ce sont les spectateurs qui décident du succès d’un film. Dans certains cas, votre travail marque les esprits, et dans d’autres, il est tout simplement oublié. L’essentiel est de parvenir à apposer votre marque sur votre travail, comme j’ai réussi à le faire sur Donnie Darko et mes autres oeuvres, même si je ne suis jamais totalement satisfait du résultat. Un film n’est jamais vraiment terminé, à commencer par Southland Tales, qui est loin d’être abouti ! (rires)


Si Donnie Darko a reçu un excellent accueil critique, le public, lui, ne s’est pas déplacé en masse…

Le long-métrage est sorti aux États-Unis cinq semaines après les attentats du 11 septembre. Durant cette période, personne ne voulait aller au ciné, encore moins pour voir un film montrant un avion qui s’écrase sur une maison. Et puis, il faut savoir que nous n’avons bénéficié que d’une promotion très limitée, il a fallu se battre pour que les gens soient au courant de l’existence du film. Après le 11 septembre, nous avons vécu des moments très sombres, il n’y avait pas de pire période pour sortir un long-métrage. Mais j’étais quand même content que Donnie Darko bénéficie d’une vie en salles, car il a longtemps été question qu’il sorte seulement en vidéo. À cette époque, la VOD n’existait pas encore et une sortie en DVD était très mal vue, à tel point que les critiques majeurs du pays – ceux du New York Times ou du Village Voice – ne rédigeaient pas d’articles sur les « direct to video ». En Europe, les distributeurs rechignaient à payer pour sortir en salles une production distribuée en vidéo aux USA. Nous avons dû bénéficier de 58 écrans répartis dans huit villes lors de la sortie de Donnie Darko, et nous avons récolté environ 500.000 dollars, ce qui était juste suffisant pour exister. Le film est ensuite sorti en France, où il a rencontré un petit succès, mais c’est surtout lorsqu’il est paru en DVD que le bouche-à-oreille a pris. Surtout au Royaume-Uni, où les gens ont commencé à s’échanger des copies avant que Donnie Darko ne débarque dans les salles britanniques un an plus tard


Après de nombreuses années, le film est devenu culte pour toute une génération de spectateurs. Comment vit-on ce genre de succès tardif ? 

Je crois que certaines oeuvres doivent prendre leur temps avant de rencontrer leur public. Un film finit toujours par trouver sa voie, d’une façon ou d’une autre. Certains cartonnent à leur sortie mais sont oubliés quelques semaines plus tard. D’autres sont moins bien accueillis lors de leur premier week-end d’exploitation, mais restent ensuite dans les mémoires. C’est assez drôle de voir que les tout premiers chiffres d’un long-métrage définissent presque immédiatement son sort, comme si l’argent récolté au box-office servait d’unique preuve de réussite. Lorsqu’un film est un peu perdu au milieu de la masse, il lui faut parfois du temps pour être découvert et compris . Je suis donc heureux qu’on parle encore de Donnie Darko et que les gens éprouvent l’envie de le découvrir aujourd’hui en salle. Je ne suis pas du tout blasé, et je savoure tout ça. 


Parlons de la version longue que vous avez montée lors de la seconde parution du film en DVD. Déjà, vous n’avez pas fait une « George Lucas » en supprimant définitivement la version diffusée en salles, qui reste la préférée de beaucoup de fans. 

Je n’ai jamais eu l’intention de supprimer cette version, je voulais juste que les deux montages puissent cohabiter. Selon moi, la version salles est celle que les gens devraient voir en premier. Le second montage est destiné à ceux qui veulent en savoir plus sur certaines idées développées dans le film. Je tenais à cette version alternative car beaucoup de personnes se posaient tout un tas de questions sur les histoires de voyage dans le temps explorées par Donnie Darko. Ayant à ma disposition beaucoup de rushes inédits, j’ai décidé de créer cette nouvelle version spécialement pour eux. Le theatrical cut, lui, s’avère forcément plus frustrant, car il n’explique pas tout. Je tenais à ce que les deux versions soient restaurées et disponibles à tout jamais pour le public. Du moins, jusqu’à ce que le réchauffement climatique finisse par provoquer l’apocalypse. (rires) 


Donnie Darko fait partie de ces oeuvres dont les fans ont toujours refusé l’idée d’une suite. Pourtant, une séquelle a bien été développée sans votre consentement quelques années plus tard. Quel est votre ressenti vis-à-vis de ce S. Darko (titré Donnie Darko 2 – l’héritage du sang en France – ND [...]

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Commentaire(s) (1)
IOTA
le 13/07/2019 à 03:25

Donnie Darko reste indetrôné pour moi depuis...18 ans donc. Bande annonce découverte au cinéma juste avant Vanilla Sky, visionnage, claque et position latérale de sécurité une semaine plus tard. Tout fonctionne dans ce film, les acteurs (Gyllenhaal (frère et soeur), Patrick Swayze (!)...), la musique, l'approche SF intimiste. On a besoin d'ovnis comme celui-ci, 18 ans c'est long!

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