
Carrière Pino Donaggio
On le sait peu en France, mais vous avez d’abord été chanteur de variétés. Cela a influé sur votre carrière de compositeur de bandes originales de films ?
Vous savez, j’ai chanté uniquement des morceaux dont j’avais composé la musique. J’étais ce qu’on appelait alors un « cantautore », un auteur-interprète. Cela m’a d’abord servi dans la mesure où j’ai remporté de grands succès. En particulier, ma chanson Io che non vivo (senza te) a été traduite en anglais sous le titre You Don’t Have to Say You Love Me, et a été reprise par Dusty Springfield, Elvis Presley et beaucoup d’autres. Ensuite, j’ai apporté au cinéma mes mélodies et, disons, un certain style de composition. Mais ce dernier a surtout été déterminé par les dix ans que j’ai passés au conservatoire, où j’ai étudié à fond la musique. J’ai ainsi joué du violon jusqu’à mes 20 ou 22 ans, en intégrant divers groupes de solistes, notamment sous la direction du célèbre chef d’orchestre Claudio Abbado. En fait, la chanson a seulement été un épisode de ma carrière. Long d’une quinzaine d’années, mais un épisode quand même.
Curieusement, votre premier film a été Ne vous retournez pas, une production étrangère bien que tournée dans votre Venise natale…
J’étais encore chanteur à l’époque, et un matin, j’ai pris le vaporetto pour retourner chez moi après un gala donné la veille au soir. Un des producteurs de Ne vous retournez pas était sur le pont, où il fumait sans doute une cigarette. Il m’a vu passer, et comme il était en train de travailler sur ce film basé sur la parapsychologie, il a pensé que j’étais une image envoyée par l’au-delà ! Il m’a ainsi téléphoné vers 11 heures, pour me parler de Ne vous retournez pas. Je n’y comprenais rien, mais quand j’ai entendu le nom de l’actrice Julie Christie, cela m’a stupéfait qu’on m’appelle pour faire un film avec elle, alors que je n’avais jamais composé pour le cinéma. J’ai donc été présenté au réalisateur Nicolas Roeg, et comme je ne parlais pas anglais, c’est lui qui a parlé. Il m’a demandé un thème correspondant à la gamine, joué un peu maladroitement au piano, et un autre morceau pour la scène d’amour. J’avais deux semaines pour écrire quelque chose à lui faire écouter. Je l’ai fait, et quand il a entendu le résultat, il m’a dit que c’était parfait pour son film. Or, Nicolas Roeg travaillait déjà sur le montage de Ne vous retournez pas en parallèle du tournage. Il a donc monté certaines scènes sur la musique que j’avais enregistrée, avec seulement un piano et une voix, puis il a ramené le tout à Londres. Là, le producteur anglais lui a annoncé qu’il ne voulait pas de quelqu’un n’ayant jamais composé pour le cinéma. Cependant, le vrai producteur, celui qui apportait l’argent, était un Américain. Il a visionné le premier montage, puis a demandé qui était l’auteur de la musique. On lui a expliqué que j’étais un nouveau venu, et l’Américain a répondu : « Eh bien, s’il est capable de composer comme cela, engagez-le. ». C’est ainsi qu’a commencé ma carrière dans les bandes originales.
Vous avez souvent eu du succès aux États- Unis, car vos musiques ont un romantisme hollywoodien tout en conservant une sensibilité européenne, peut-être proche de l’opéra italien. C’est ce mélange qui a intéressé Brian De Palma ?
Dès l’âge de 10 ou 11 ans, j’ai fait partie de formations qui jouaient des opéras et des mélodrames, comme Carmen. Cette musique est probablement restée ancrée en moi. Même lorsque j’étais chanteur, j’étais souvent accompagné d’un grand orchestre. Car vous gardez en tête le souvenir de tous les styles que vous avez pratiqués. Par exemple, j’aime énormément Stravinsky, et j’ai ainsi composé de nombreux morceaux ayant quelque chose de stravinskien, même si je m’amusais à y apporter ma touche personnelle. Cependant, je vais vous raconter comment cela s’est passé avec Brian De Palma. La bande originale de Carrie au bal du diable devait être signée par Bernard Herrmann, qui avait fait deux films de Brian, Soeurs de sang et Obsession. Or, Herrmann est mort d’un infarctus alors qu’il travaillait sur Taxi Driver de Martin Scorsese. Brian s’est donc mis à la recherche d’un musicien, car il ne voulait pas prendre un des compositeurs habituels de Hollywood. Il a alors été invité à dîner par un de ses amis, qui avait acheté à Londres le 33 tours de Ne vous retournez pas et le lui a fait écouter. En fait, Brian n’aimait pas beaucoup le film de Roeg, mais quand il a entendu mes thèmes avec les yeux fermés, il a pensé que je pourrais faire Carrie. Il trouvait que j’avais une culture artistique et une connaissance de l’orchestration proches de celles de Herrmann, et cela a emporté sa décision. Son monteur Paul Hirsch, qui parlait très bien l’italien, m’a ainsi appelé chez moi, et je suis parti en Amérique pour visionner Carrie.
De Palma n’effectuait pas le montage en se basant sur vos musiques, comme Nicolas Roeg ?
Non, il travaillait de manière un peu différente. Je visionnais le film terminé à New York, puis Brian me donnait le minutage des scènes et me disait ce qu’il voulait. En particulier, nous faisions des essais avec des musiques préexistantes, pour comprendre l’atmosphère nécessitée par telle ou telle séquence. Par exemple, ils avaient monté le final de Carrie, avec la main qui surgit de la tombe, sur l’Adagio d’Albinoni. Nous avons aussi visionné cette scène avec un ancien thème de Bernard Herrmann, qui fonctionnait également très bien. Bref, comme je parlais très mal anglais, nous faisions des tests d’atmosphère. Cependant, à partir de là, j’avais une complète liberté. De retour en Italie, j’écrivais mes thèmes, puis j’allais directement en studio pour enregistrer la version définitive, avec le grand orchestre. Enfin, j’envoyais les bandes à Brian. Par chance, le résultat lui a toujours plu, et nous avons ainsi collaboré pendant de nombreuses années. J’ai fait huit longs-métrages avec lui.
Ce que vous dites est étonnant, car en voyant la filature dans le musée de Pulsions, on a l’impression que les phases successives du montage épousent les différents mouvements de votre partition…
C’est entièrement mon oeuvre. Quand Brian a entendu la manière dont j’avais construit cette composition, il a été enthousiaste. Alors qu’il n’est pas homme à faire beaucoup de compliments, il a posé sa main sur mon épaule et m’a dit : « Very good, Pino. ». En fait, Brian a été surpris à chaque fois qu’il a découvert une de mes bandes originales. Mais à l’époque, c’était toujours une fois le tournage et le montage terminés. Seuls nos derniers films ont été conç [...]
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