Carrière : Philip Kaufman

En mars dernier, le réalisateur de L’Invasion des profanateurs et L’Étoffe des héros était l’invité d’honneur de Toute la mémoire du monde, le festival du film restauré de la Cinémathèque française. Il nous a raconté une carrière toute en zigzags, mais où les genres et les sujets sont liés par cette étincelle humaine qui donne aux personnages leur farouche esprit de résistance.
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Pour vous, L’Invasion des profanateurs est plutôt un remake de L’Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel, ou une nouvelle adaptation du roman original de Jack Finney ?

À l’époque, ce n’était pas comme aujourd’hui, où tout le monde fait des reboots et des suites : pour l’essentiel, cela concernait seulement les séries familiales comme Placide et Zoé. Je n’ai jamais vu les versions ultérieures des Body Snatchers, mais je pense qu’elles étaient plus proches du film original. Moi, je ne voulais pas réaliser un remake plan par plan. J’en ai d’ailleurs parlé à Don Siegel, qui était un bon ami à moi. Je lui ai dit que j’hésitais encore à accepter ce projet, car j’ai toujours souhaité faire des oeuvres singulières. De plus, j’avais envie d’une fin plus marquante que celle du film original, où il y a un dénouement très hollywoodien, avec le FBI arrivant pour attraper les extraterrestres. Don m’a justement raconté que les producteurs ne l’avaient pas tout à fait laissé réaliser le long-métrage qu’il avait en tête, et lui avaient imposé une conclusion différente de celle qui était initialement prévue. Or, juste à ce moment-là, quelqu’un a frappé à la porte : c’était Kevin McCarthy, l’acteur principal du film de 1956, qui était là par hasard car il tournait sur les plateaux de la MGM. Alors, pour moi, la lumière fut. Il faut vous souvenir que l’idée de l’original était de montrer la terreur s’immisçant au sein d’une petite bourgade américaine, comme Hitchcock l’avait fait dans L’Ombre d’un doute. J’ai donc pensé que le personnage de Kevin McCarthy aurait pu courir à travers le pays pendant 20 ans pour essayer d’avertir la population, et qu’il serait finalement arrivé dans une grande ville, où il aurait continué à crier : « Ils sont là ! Ils sont là !!! ». De fait, aujourd’hui même, nous sommes envahis par des gens encore plus dangereux par leur conformisme, en particulier aux États-Unis où le gouvernement est toujours plus autoritaire et moins humaniste… En tout cas, j’ai dit à Don et Kevin : « Oh, et puis merde ! Avec votre aide, je vais trouver un moyen de raconter l’histoire à ma manière. ». Du coup, même si la scène avec Kevin McCarthy tisse un lien avec le film original, mon Invasion des profanateurs n’est pas exactement une suite, ni un remake. C’est plutôt une version alternative, qui réenvisage les thèmes d’une certaine façon, en revenant à certains égards au roman de Jack Finney. 



Don Siegel apparaît également dans votre film, sous la défroque d’un chauffeur de taxi. Cependant, vous n’avez pas repris l’aspect politique de sa version, qui est à double tranchant. Certains y ont vu un brûlot anticommuniste épinglant l’infiltration d’agents soviétiques ; d’autres, une métaphore de l’uniformisation de pensée causée par la paranoïa anti-rouge… 

J’adore la version de Don Siegel. C’est vrai qu’il y a toujours eu un questionnement sur sa signification politique, et je me souviens qu’avec des amis, nous en avons longuement parlé après l’avoir vu. Mais en termes de pur cinéma, cela marche à fond. D’un certain côté, mon film est beaucoup plus science-fictionnel. Je suis en effet revenu à l’idée première de Jack Finney, celle des spores végétales qui ont volé à travers l’espace pour arriver sur Terre. Le générique de L’Invasion des profanateurs regarde ainsi très loin dans le futur, en montrant une planète où toute vie a été détruite, les habitants n’ayant eu aucune considération pour l’écologie. Seules subsistent les spores, qui partent à la recherche d’un autre monde… C’est peut-être ce que l’avenir nous réserve, et on s’en rend particulièrement compte maintenant, en période de pandémie, alors que nous nous demandons si nous allons être envahis et tués par un virus. En même temps, ma version est plus directement émotionnelle. Plutôt que de faire un pur film de genre, j’ai voulu combiner la science-fiction avec une histoire d’amour qui soit contemporaine et expressive. Et aussi, avec pas mal d’humour. Comme je le disais, le film de Don Siegel était le compte-rendu objectif d’événements survenant dans une petite ville. À l’inverse, j’ai voulu situer l’action à San Francisco, là où je vis, et montrer un milieu qui m’est familier : des librairies, des amis écrivains… Comme j’avais été à deux doigts de tourner avec lui un long-métrage Star Trek centré sur le personnage de M. Spock, j’ai ainsi rappelé Leonard Nimoy pour qu’il incarne un psy, car c’était un excellent acteur. J’ai aussi eu Jeff Goldblum pour jouer un poète un peu fou. La célèbre critique Pauline Kael a écrit que L’Invasion des profanateurs était à certains égards une comédie, et je pense effectivement que si vous pouvez rire de quelque chose, cela pourra devenir d’autant plus effrayant. Je suis parfois agacé par les films qui se prennent trop au sérieux : ils n’arrivent pas à être terrifiants sur toute la durée. 


Dans les années 1960, avant de travailler pour les grands studios, vous aviez d’ailleurs réalisé à Chicago deux comédies satiriques indépendantes, Goldstein et Fearless Frank, ce dernier étant une parodie de super-héros… 

Frank’s Greatest Adventure, qui a ensuite été retitré Fearless Frank, est sans doute un des premiers films de super-héros : il est contemporain de la série télé Batman. C’était un hommage aux bandes dessinées avec lesquelles j’ai grandi : pas les romans graphiques sombres et violents d’aujourd’hui, mais les comics. Bien des années plus tard, Warren Beatty a aussi essayé de les reproduire dans son film Dick Tracy. Pour ma part, j’ai pris les figures de style des comics, et je les ai recombinées dans une histoire originale. C’était l’époque du Pop Art, des peintures de Roy Lichtenstein, et j’ai tenté d’injecter cette approche au cinéma. Pour cela, j’ai travaillé avec des acteurs dont beaucoup avaient joué dans Goldstein et venaient de troupes de théâtre indépendantes. 


Vous pouvez revenir sur le projet Star Trek avec Leonard Nimoy dont vous parliez plus haut ? 

Bien sûr. Un jour, le producteur Jerry Isenberg m’a appelé pour me dire que Paramount avait en projet un film à petit budget intitulé Star Trek, et m’a demandé si je serais intéressé. J’ai répondu oui, mais seulement si je pouvais inventer une histoire excitante, assez distincte de la série télé originale. Or, à mes yeux, le personnage le plus intéressant de cette dernière était Spock, avec ses pouvoirs mystiques. J’ai donc construit un récit où il se confronterait aux Klingons, dont le chef devait être incarné par Toshirô Mifune. L’histoire faisait aussi intervenir un trou noir. J’ai ainsi terminé une première version du script avec deux très bons scénaristes, puis j’ai continué à écrire seul. Parallèlement, je travaillais avec Ralph McQuarrie, le dessinateur des story-boards de La Guerre des étoiles, et avec Ken Adam, le chef-décorateur des James Bond, en vue d’un tournage en Angleterre. À un moment, je suis donc parti à Londres où j’ai rendu visite à mon ami George Lucas, qui était justement en train de faire La Guerre des étoiles. Là, je me suis rendu compte que les gens de la 20th Century Fox disaient tous : « Oh mon Dieu, c’est un désastre, nous allons stopper le tournage. ». Du coup, George et son producteur ont dû finir les prises de vues en catastrophe, en réalisant tous deux des scènes sur des plateaux différents. Je suis ensuite retourné en Californie, et au terme d’une nuit blanche, j’ai lancé à ma femme Rose : « Je tiens à peine debout, mais j’ai enfin chopé ce Star Trek, ce sera un super film. ». Mais le téléphone a sonné, et au bout du fil, il y avait Jerry qui me disait : « Phil, ils ne vont pas le faire, le patron de Paramount a déclaré que la science-fiction n’avait pas d’avenir. ». C’est le génie des décideurs de Hollywood : ils auraient pu gagner des centaines de millions de dollars de plus si mon film avait été prêt lors de la sortie de La Guerre des étoiles et de Rencontres du troisième type. C’est seulement deux ou trois ans plus tard que Robert Wise a tourné le premier long-métrage Star Trek. Robert Wise est un merveilleux réalisateur, mais ce film-là n’était pas très bon. Bref… 


Avec George Lucas, vous prendrez votre revanche en participant au scénario des Aventuriers de l’Arche perdue… 

En fait, j’ai seulement travaillé avec George pendant quelques mois, au tout début. C’était avant qu’il ne fasse La Guerre des étoiles. Il n’avait réalisé que THX 1138 et American Graffiti, et à l&r [...]

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