Lewis Teague, les impros d'un pro
À l’occasion de la sortie en Blu-ray de son excellent Du rouge pour un truand(édité par Carlotta Films :voir encadré), l’auteur de Cujo et L’Incroyable alligator nous retrace une carrière où il a pu relever les défis les plus variés grâce à un bagage technique acquis sur le tas.
Votre premier long-métrage réalisé en solo, Du rouge pour un truand, ressort en Blu-ray en France…
Je n’avais pas vu le film depuis des décennies et grâce au Blu-ray, l’image est aussi belle qu’au moment de la sortie. Le directeur photo était un Français, Daniel Lacambre, et il a accompli un boulot formidable. De manière générale, en revoyant Du rouge pour un truand, j’ai été frappé par la quantité de travail que nous avons abattue pendant un tournage très court.
Cela tient beaucoup au fait que c’était une production de Roger Corman, pour qui j’avais déjà officié plusieurs fois comme réalisateur de seconde équipe ou comme monteur. Je comprenais donc l’importance de la vitesse, car j’avais appris à ne pas me faire plaisir sur le plateau. Je faisais une ou deux prises et si le résultat était exploitable, je passais au plan suivant. Nous ne perdions aucune minute sur ce tournage.
Quand il était réalisateur, Corman avait l’air de planter une situation et des personnages en une poignée de plans. Ce style se retrouve dans ses productions…
Je ne suis pas très d’accord avec l’idée d’un style unique pour les productions Roger Corman. En fait, Roger ne faisait pas du micromanagement. Une fois qu’il vous avait engagé, qu’il avait approuvé le scénario et peut-être les acteurs principaux, il vous laissait travailler librement dans les limites du budget, sans beaucoup d’interférences.
Sa seule exigence envers les réalisateurs, c’était qu’ils devaient tourner en peu de temps et raconter leur histoire rapidement, pour que le résultat ne soit pas ennuyeux. S’il existe un style Corman, il se résume seulement à cela.
Pour le reste, chaque film reflétait le style individuel du réalisateur, que ce soit Jonathan Demme (voir Crazy Mama, 1975, comonté par Teague – NDR) ou moi-même. D’ailleurs, Roger m’a dit un jour : « Lewis, si j’ai un bon titre et que le budget est respecté, je ne perdrai pas d’argent. Je n’ai commis qu’une seule erreur, sur Cockfighter de Monte Hellman. ».
Christopher Llyod dans Du rouge pour un truand.
Cockfighter (1974) est néanmoins un très beau film et vous en avez été le monteur. Comment cela s’est-il passé ?
Cockfighter a été ma porte d’entrée dans le studio Roger Corman. J’ai travaillé étroitement avec Monte, qui était déjà un ami à moi et était un vrai gentleman. En fait, j’étais comonteur sur ce film. Je me suis occupé des séquences d’action tandis que Monte a monté l’essentiel des scènes dramatiques.
Voilà un bon exemple de ce que je disais tout à l’heure. Monte avait un style très particulier, il tournait de longs plans ininterrompus. Soit tout le contraire de ce que j’ai essayé de faire dans Du rouge pour un truand, c’est-à-dire raconter l’histoire rapidement avec beaucoup d’effets de montage, un découpage serré et de l’action. En fait, mon inspiration venait de la Nouvelle Vague française, de Godard, Truffaut, Chabrol…
Du rouge pour un truand se distingue aussi par la puissance de ses personnages féminins. Bien qu’il soit en tête d’affiche, Robert Conrad apparaît en guest-star dans la défroque de Dillinger. Ainsi, on retient surtout l’héroïne jouée par Pamela Sue Martin et la maquerelle incarnée par Louise Fletcher, laquelle avait reçu l’Oscar pour son rôle d’infirmière sadique dans Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman…
Pamela Sue Martin a effectué un boulot merveilleux, elle a très bien saisi les évolutions de son personnage. C’était aussi très sympa de travailler avec Louise Fletcher. Quand j’ai tourné le premier plan avec elle, j’ai fait une seule prise car elle était formidable et j’ai annoncé que nous passions au cadrage suivant. Elle m’a alors lancé : « Non, tu ne peux pas envoyer cela au laboratoire ! Milos me donnait dix prises rien que pour m’échauffer. ». Je lui ai répondu qu’en l’occurrence, c’était le rythme Roger Corman, et elle s’est bientôt habituée au fait que nous avancions à la vitesse de l’éclair.
Robert Conrad était également formidable. Il faisait des allers et retours entre deux plateaux puisqu’il était alors la vedette d’une série télé intitulée Sloane, agent spécial. Un peu plus tard, il m’a proposé d’en réaliser un épisode, ce que j’ai fait. Mais vous n’avez pas cité celui qui est pour moi l’acteur le plus important de Du rouge pour un truand, Robert Forster.
Mon histoire avec lui avait commencé sur le plateau d’une autre production Roger Corman, Avalanche, dont je dirigeais la seconde équipe. Alors que je tournais des plans avec lui, je lui ai dit : « Robert, je veux être réalisateur un jour et je tiens à ce que tu sois dans un de mes films, tellement tu es un super acteur. ». Il m’a répondu : « Eh bien, quand tu auras décroché ton premier job de metteur en scène, envoie-moi le scénario. ».
Je l’ai donc appelé un an plus tard, Roger Corman m’ayant confié la direction de Du rouge pour un truand. Mais Robert était alors occupé sur Le Trou noir, un film Disney dont il espérait que ce serait un énorme blockbuster qui ferait de lui une star. Donc, pour tenir sa promesse, il m’a annoncé qu’il jouerait dans Du rouge pour un truand sans être crédité au générique.
Il a lu le scénario puis m’a demandé quel rôle je voulais qu’il joue. Je lui ai dit de prendre le personnage de son choix, et il a opté pour celui du tueur surnommé « le Turc », où il a été excellent.
Aussi, je lui ai ensuite donné le rôle principal de mon second long-métrage L’Incroyable alligator. Ce dernier est vraiment le film qui a lancé ma carrière : il a reçu un très bon accueil critique, notamment dans les pages du New York Times, et cela m’a ouvert beaucoup de portes.
Ce succès est dû à la combinaison de plusieurs ingrédients, dont les principaux étaient l’interprétation de Robert Forster et le scénario coécrit par John Sayles.
Le crocodilien géant de L'Incroyable alligator émerge des égouts.
Sayles avait déjà écrit Du rouge pour un truand, qui parlait de la misère pendant la Grande Dépression et de la condition des ouvrières. L’Incroyable alligator mêle quant à lui film de monstre et satire politique, laquelle culmine quand le saurien déboule dans la garden-party de gens riches et puissants…
Vous avez absolument raison de dire que ces deux films étaient sous-tendus par un discours social, qui venait des scripts de John Sayles.
L’histoire de L’Incroyable alligator est politique dans la mesure où le monstre est créé par la pollution industrielle, qui est déversée dans les égouts. Et quand la bête s’échappe du cloaque, elle remonte la chaîne économique. Elle surgit d’abord dans le ghetto, puis finit dans les banlieues huppées où elle s’attaque à la garden-party. Pour cette séquence, nous nous sommes bien amusés à semer la destruction.
Dans ses interviews, John Sayles dit une chose intéressante : son scénario mêle le rire et l’effroi, mais à partir de là, c’est au réalisateur de trouver le ton juste. Vous avez eu du mal à fixer cet équilibre ?
Non, car la question a été résolue peu avant le tournage. Nous avons construit un costume d’alligator assez grand pour que deux hommes puissent rentrer dedans et je l’ai filmé pour voir le résultat à l’image. Une foule nombreuse assistait à ce test, et tout le monde a rigolé quand les deux hommes à l’intérieur de l’alligator ont commencé à le faire marcher.
Dès lors, j’ai su que la comédie était l’élément le plus important du film. Bien sûr, John avait écrit des dialogues très drôles. Mais les acteurs et tous les membres de l’équipe étaient au courant que le résultat allait être à la fois réaliste et humoristique.
S’ajoute un côté référentiel avec le personnage d’Henry Silva, qui joue un chasseur de fauves tout droit sorti d’un vieux film de jungle…
C’était merveilleux de travailler avec Henry. Nous n’avons pas eu besoin de beaucoup discuter car, comme je le disais, le ton était implicite dans le scénario. J’ai seulement dû le brider un peu pour qu’il ne joue pas son rôle de manière t [...]
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