Carrière : Juraj Herz
D’où vient votre envie de faire du cinéma, alors que la situation politique de votre pays était épineuse, et que, dans votre jeunesse, votre famille a vécu des événements tragiques (en 1943, ses proches ont été arrêtés et déportés au camp de Ravensbrück, tandis que Juraj, neuf ans à l’époque, s’est retrouvé dans la section russe du camp de Sachsenhausen – NDR) ?
Par rapport au contexte politique, je m’en foutais complètement que les dirigeants soient de gauche ou de droite. Mais bien sûr, ce n’étaient pas des conditions de travail idéales. Évidemment, on a fait pression sur moi tout au long de ma carrière, et ce jusqu’au changement de régime. Certaines de mes oeuvres sont même restées bloquées dans un coffre du gouvernement pendant treize ans… On m’empêchait de tourner des films, comme lorsque je préparais une adaptation du Surmâle d’Alfred Jarry (dernier roman publié du vivant de l’auteur, en 1902, qui s’attarde sur les prouesses sexuelles d’un surhomme dont la vigueur ferait mourir les femmes d’épuisement ! – NDR), juste après L’Incinérateur de cadavres. Pour l’État, c’était de la pornographie. Enfant, j’ai toujours adoré le cinéma et me rendre dans les salles obscures. C’était une façon de m’évader. Le premier film qui m’a touché mettait en scène Rudolf Hrusínsk?, que j’ai choisi plus tard pour le rôle principal de L’Incinérateur… Les gens ne veulent pas croire que, quand il était jeune, il était blond, mince et très beau !
On dit que vous avez côtoyé JanSvankmajer, l’un des pionniers de l’animation en Europe. Avez-vous appris des choses à son contact ?
En fait, nous sommes tous les deux nés en 1934 et avons été à l’école ensemble pendant quatre ans. Par ailleurs, nous avons effectué notre service militaire en même temps et au même endroit durant deux ans. Nous avons également fait partie d’une troupe de théâtre où, lorsqu’un de nous deux mettait en scène, l’autre jouait dans la pièce, et vice versa. En outre, c’est grâce à moi que ?vankmajer a rencontré sa première femme – une personne très talentueuse qui a participé aux décors de ses films –, puisque j’avais remarqué que cette jeune étudiante venait à nos répétitions. Il n’y avait même pas prêté attention et je lui ai conseillé de l’inviter à boire un verre. J’ai d’ailleurs été l’un des témoins de leur mariage. Jan et moi avons aussi collaboré sur Le Neuvième coeur, pour lequel il a confectionné les coeurs des neuf enfants volés par un magicien et quelques éléments de décor. Parfois, il allait même trop loin, puisque pour Le Vampire de Ferat, il avait créé un moteur vivant à base d’entrailles bovines ! C’était trop pour le gouvernement communiste de l’époque, qui s’est fait un plaisir de couper une bonne partie de ces scènes. ?vankmajer et moi ne pourrions pas donner de cours de cinéma, car nous avons pour coutume de dire que « celui qui connaît le métier tourne et celui qui ne le connaît pas est professeur ». (rires)
Dans les années 60, ce devait être particulier de développer des projets de longs-métrages en Tchécoslovaquie. À quoi ressemblait l’industrie du cinéma locale et comment parveniez-vous à boucler le financement de vos films ?
Nous ne courions pas après les moyens financiers, car les studios Barrandov – les plus grands studios de cinéma tchèques – étaient liés à l’État. Tout était très réglementé et hiérarchisé, une représentation parfaite de « l’échelle sociale ». Par exemple, pour devenir ingénieur du son, il y avait un parcours précis à suivre, étape par étape : écoles spécialisées, assistanat d’opérateurs son déjà installés dans le métier, etc. On savait aussi qui avait droit aux subventions étatiques et par quoi il nous faudrait passer pour les décrocher. Pour travailler avec les studios Barrandov, il fallait être diplômé d’une fac de cinéma liée à l’État, ce qui n’était pas mon cas, puisque j’avais étudié la photographie à l’école des Beaux-Arts avant d’apprendre le théâtre de marionnettes en compagnie de Jan ?vankmajer et de faire avec lui du théâtre expérimental à Prague. Je suis passé au cinéma à l’occasion du tournage d’un film sur lequel j’étais acteur (probablement Kazdá koruna dobrá, 1961 – NDR). Le réalisateur (Zbynek Brynych – NDR) a remarqué que j’observais ce qu’il faisait. Il m’a demandé ce que je faisais là et s’il n’était pas temps que j’aille m’habiller pour la prochaine scène. Je lui ai répondu que je m’intéressais à la réalisation et que c’était un de mes objectifs. Il m’a alors proposé de devenir son assistant, sous réserve que je délaisse le milieu du théâtre, qui était fort prisé. À Prague, des gens faisaient la queue toute la nuit afin d’obtenir des tickets pour les dernières représentations théâtrales. Des assistants réalisateurs – l’un d’eux était Milos Forman – m’avaient dit que j’étais fou de quitter le théâtre, puisque de to [...]
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