Carrière John McTiernan

« Histoire » est sans doute le mot le plus souvent prononcé dans cet entretien recueilli à l’occasion de la rétrospective consacrée par la Cinémathèque Française au réalisateur de PREDATOR. C’est dire si « McT » reste avant tout un narrateur et un fabricant d’images, au sein d’un Hollywood standardisé où il s’apprête à faire son retour après quelques tracas judiciaires.
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Vos premiers longs-métrages contiennent des apparitions de fameux seconds rôles issus de l’Âge d’Or de Hollywood : Nina Foch dans
Nomads, R.G. Armstrong dans Predator… Vous vouliez ainsi vous relier au cinéma classique ?

Nina a joué dans un de mes films préférés, Spartacus, où sa performance était juste géniale. Mais je la connaissais surtout parce que j’avais suivi ses cours quand j’étudiais à l’American Film Institute. Elle essayait de nous apprendre comment nous débrouiller avec les acteurs, afin que nous puissions les aider dans leur démarche, et non pas les handicaper ou leur barrer la route. Cette école était fabuleuse : ils nous faisaient regarder deux films par jour, de toutes sortes, six jours par semaine. Et j’y suis resté quatre ans, presque cinq, jusqu’à ce que j’aie terminé mon court-métrage de fin d’études. En outre, je ne sais pas comment ils travaillent aujourd’hui, mais ils nous faisaient tourner en vidéo noir & blanc. C’était bien de nous mettre ainsi à nu, car la plupart des films d’étudiants se cachent derrière le cinéma. Les réalisateurs pensent que le problème de leur travail, c’est qu’il n’est pas en 35 mm, ou pas en couleur, ou pas assez gros. Mais ce n’est pas vrai : si vous savez raconter une histoire, vous pouvez la raconter sur un petit écran noir & blanc.

Predator montre des mercenaires plus un alien, Le 13ème guerrier des vikings plus une tribu cannibale : vous cherchez des scripts plaçant le surnaturel sur un arrière-plan réaliste ?

Non. Enfin… c’est peut-être ce que je recherchais à l’époque. De toute façon, si vous allez traiter une histoire à propos d’un élément surnaturel, autant le placer dans un monde très rationnel et normal. Si vous étiez dans un monde de fantaisie au départ, l’arrivée de quelque chose de fantastique n’aurait rien de nouveau. Ça ne ferait pas une histoire, OK ? En termes d’opposition, quand nous avons su que c’était Bruce Willis qui allait jouer Piège de cristal et pas un autre, nous nous sommes demandés : de quoi s’agit-il avec lui ? Bruce Willis est agressivement « classes populaires ». Pour lui trouver un adversaire, nous n’allions donc pas prendre une autre brute, mais un type élégant et suave. Ce n’est pas une pensée miraculeuse, c’est juste du travail sur les histoires. De la même manière, le rôle de Samuel L. Jackson dans Une journée en enfer est la pire personne au monde à mettre en tandem avec Bruce Willis. En fait, je voulais qu’il soit assez conservateur : pas de droite, mais un homme très strict et discipliné. Il est d’ailleurs habillé exactement comme Malcolm X, avec une chemise blanche et des lunettes noires. Et des dents blanches… Quand il est arrivé sur le plateau le premier matin, je l’ai regardé et je lui ai dit : « Non, Samuel, tu es une star de cinéma maintenant. ». J’ai retardé le tournage pour l’envoyer se faire nettoyer les dents, afin qu’elles soient éclatantes. Et il m’a adoré pour cela, car je faisais attention à lui et essayais de le rendre beau.



Avec le chantage d’un terroriste imposant des épreuves aux héros,
Une journée en enfer pousse au maximum la formule de certains de vos films, où les protagonistes bataillent à coups de stratagèmes. Dans À la poursuite d’Octobre rouge, le personnage de Sean Connery parle même de partie d’échecs…

Oui, oui. Il y a cependant trop de renversements dans Une journée en enfer, qui aurait dû s’arrêter plus tôt. Quand vous trompez le public trop de fois, il finit par se fatiguer. Les spectateurs pensent : « Réveillez-moi quand vous me raconterez le vrai truc. Ne me dites plus de mensonges. ». Et je crois que sur Une journée en enfer, nous avons fait un ou deux mensonges de trop, aux alentours de la fin. J’ai revu le film récemment et je l’ai trouvé trop long.

Il y a peut-être une baisse de tension après l’incroyable scène du déraillement du métro. Elle a été dure à réaliser ?

Non, elle était en fait relativement facile. Nous avons construit la station de métro dans un bâtiment de l’industrie spatiale, en Caroline du Sud, qui servait à fabriquer des fusées. C’était donc un espace immense, où nous avons fait venir de vieux wagons de métro que nous avions achetés et où nous avions installé quatre gros moteurs de voiture, à la place des engins électriques qui propulsent normalement les rames. Puis nous avons trafiqué un des wagons pour qu’il sorte de son axe et se mette à pivoter sur le béton. Pourquoi ai-je procédé de cette façon ? Eh bien, à l’époque, il y avait déjà des effets numériques qui étaient assez bons, et qui n’étaient d’ailleurs pas très bon marché. Cela coûtait peut-être 10 000 dollars par photogramme, facilement 60 000 dollars la seconde. Mais il y a quelque chose dans ces effets qui vous dit que ce n’est pas réel, et de la manière dont nous l’avons fait, ce truc du métro qui déraille semble authentique. Vous savez que ce n’est pas du numérique, et cela rend l’ensemble de la séquence plus intéressante.

Pour revenir aux « mensonges » de scénario, il y en a vraiment trop dans Basic, qui est votre dernier long-métrage en date et le seul que je n’ai pas aimé…

(rires) Vous voyez, ce sont vraiment les gens pour qui vous travaillez qui décident du film. Hum, le script de Basic avait un énorme problème, et le studio l’avait rejeté pour cela. Quand les producteurs m’ont engagé, je leur ai ainsi répété que le scénario était prometteur mais qu’il s’hypothéquait lui-même. Bref, ils m’ont envoyé au studio pour que je dise : « OK, je vais réparer le script, ne vous inquiétez pas. ». On m’a cru sur parole et le deal a été conclu, mais une fois que j’ai été sur le point de tourner, ils m’ont dit que je ne pouvais rien réparer. Et que si je racontais au studio que je filmais le scénario original, ils m’attaqueraient en justice pour 100 millions de dollars. Pfff… Mon avocat m’a co [...]

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