Carrière : Jeannot Szwarc
Comment, de jeune parisien amoureux de cinéma, êtes-vous devenu réalisateur aux États-Unis ?
Étant depuis toujours cinéphile, j’ai voulu à mon tour faire du cinéma. À la fin de mes études, j’ai travaillé dans une société productrice de films documentaires et publicitaires. Je me suis ensuite arrangé pour être engagé comme assistant sur Charade, une production américaine en tournage à Paris. Côtoyer Audrey Hepburn et Cary Grant me comblait. Faute de perspectives en France, j’ai fini par tenter ma chance aux États-Unis, en même temps que j’y suivais une fille ! Au terme de deux ans de galère, je suis parvenu à me faire engager par Universal en tant que producteur associé sur des séries TV. Ce qui ne me convenait pas, même si je donnais satisfaction ! J’ai beaucoup insisté auprès de mes chefs pour passer à la réalisation et j’ai fini par obtenir gain de cause en tournant un épisode de L’Homme de fer. Il faut croire que l’on m’a jugé compétent puisque j’ai enchaîné sur Opération vol, Le Virginien, Docteur Marcus Welby, Kojak…
Et c’est ainsi que vous avez débarqué sur Night Gallery, dont vous avez tourné pas moins de 19 épisodes !
Oui ! D’emblée, nous nous sommes bien entendus avec Rod Serling, le créateur de Night Gallery et de La Quatrième dimension, que j’appréciais tant ! Un homme très gentil. J’ai donc tourné un premier épisode, The Little Black Bag, sur lequel je me suis immédiatement senti à mon aise. Rod Serling l’a aimé et, dès lors, a insisté pour que j’illustre un maximum de ses scripts, et que je filme aussi les préambules dans lesquels il intervenait. Jack Laird, le producteur, ne s’y est pas opposé. Au contraire ! Il ne venait jamais sur le plateau, me laissant libre. J’ai même pu engager Barbara Steele pour l’épisode The Sins of the Fathers. Je devais seulement veiller à ne pas être excessivement sombre… Sur Night Gallery, davantage que sur d’autres séries, j’ai vraiment pu m’exprimer, m’essayer à différents styles dans la mesure où chaque épisode racontait une histoire différente, mettait en scène des nouveaux personnages. J’étais néanmoins tenu à des délais serrés : entre une journée et demie pour l’épisode le plus court, trois pour le plus long ! Dommage que la série n’ait pas duré plus longtemps. Comme ils ne la comprenaient pas vraiment, les pontes d’Universal ne l’ont pas soutenue au-delà de deux saisons.
Les Insectes de feu inaugure, en 1973, votre carrière cinématographique. Vous n’avez pas choisi la facilité…
J’ai rencontré le producteur, William Castle, à l’occasion de ma tentative de tirer une série TV du roman La Patrouille du temps de Poul Anderson. Un livre dont il avait justement acquis les droits peu avant. Nous sommes restés en contact. Plus tard, il m’a rappelé pour me dire qu’il recherchait un réalisateur pour Les Insectes de feu. Il m’a communiqué un exemplaire du scénario sans trop y croire. Il était même prêt à abandonner le projet tant il lui paraissait impossible de le mener à bien avec le budget qu’on lui avait confié. Selon lui, il allait à la catastrophe et le résultat ne pouvait être que navrant. Je l’ai convaincu que c’était dans le domaine du possible. Difficile, mais possible. Venant de la télévision, j’avais appris à travailler rapidement, avec des moyens réduits. Exactement le type d’expérience que nécessitait Les Insectes de feu…
En revanche, rien ne vous avait préparé à diriger des cafards !
Surtout qu’on n’apprend pas des cafards à répéter tel ou tel mouvement ! Il a donc fallu trouver des solutions, bricoler, s’armer de patience. Pour un peu plus d’un mois avec les comédiens, nous en avons passé quatre avec les insectes. Quatre mois à tester des éclairages, des angles de prises de vues pour intégrer les cafards au montage sans que les raccords soient visibles ! Les comédiens ont dû se faire à leur présence. Non pas qu’ils soient dangereux, mais ils inspirent un tel dégoût que ça revenait au même. Nous avons dû en endormir certains avant de les poser sur le visage de Patty McCormack, qui les craignait… De tous les acteurs, Joanna Miles en avait le plus peur. Une vraie phobie. Avant de tourner sa séquence lors de la dernière semaine, je l’ai habituée à leur présence avec plusieurs spécimens morts. Le public a malheureusement boudé Les Insectes de feu. Il faut dire qu’il est sorti en salles le même vendredi que Les Dents de la mer !
D’ailleurs, la suite des Dents de la mer est la première grosse production hollywoodienne sur laquelle vous êtes intervenu. Comment cette opportunité s’est-elle présentée à vous ?
J’ai pris le film en cours, alors que le premier réalisateur (John D. Hancock – NDLR) avait été renvoyé par le studio. Le studio a jugé que les scènes tournées sur pratiquement un mois ne fonctionnaient tout simplement pas, que lui confier le projet était une erreur. Ce qui était vrai. Il fallait le remplacer d’urgence. Plusieurs cinéastes se sont déclarés intéressés, sous réserve de plusieurs semaines d’arrêt du tournage, le temps de réécrire le scénario… Des gens aussi chevronnés que John Frankenheimer et Otto Preminger ! Universal a refusé. Steven Spielberg lui-même n’était pas contre, mais il demandait à ce qu’on l’attende six mois. Joe Alves, le directeur artistique du film, avec lequel j’avais beaucoup travaillé sur Night Gallery, a alors prononcé mon nom. Si Universal a accepté de m’engager, c’est essentiellement parce que j’étais immédiatement disponible et que j’acceptais de prendre la balle au bond, de me mettre sans tarder au travail. Trois semaines après avoir rencontré les producteurs David Brown et Richard Zanuck, j’étais à pied d’oeuvre. Trois semaines pour me mettre dans le bain. Pratiquement tous les plans tournés par mon prédécesseur étaient à jeter. Pas simple, mais j’ai pensé à un stratagème afin de trouver le temps nécessaire à une indispensable révision du script : tourner une séquence d’action et d’effets spéciaux complexe, longue à mettre en place… Ce n’est pas tant que le scénario était mauvais, mais les personnages manquaient de relief, les dialogues de consistance. Il a fallu convoquer Carl Gottlieb, le scénariste du premier, pour qu’il s’y remette. D’emblée, j’ai dû convaincre les gens d’Universal qu’il était capital de montrer le requin. Ils n’y tenaient pas, redoutant que je rencontre les mêmes difficultés que Steven Spielberg. Pourtant, il le fallait bien, non seulement pour compenser l’absence de Richard Dreyfuss et Robert Shaw, mais aussi pour donner au public quelque chose qui soit différent de l’original. D’ailleur [...]
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