Carrière : Jack Sholder
À vos débuts, vous avez monté beaucoup de bandes-annonces pour New Line Cinema.
Oui, presque une centaine ! J’ai monté les trailers américains de la trilogie Street Fighter avec Sonny Chiba, de certains John Waters… J’ai même monté la bande-annonce du premier Evil Dead ! Le film était distribué par New Line aux États-Unis, et la tagline était : « Ils se sont levés du mauvais côté de la tombe ! ». (rires) L’horreur, c’était assez facile à faire. C’était beaucoup plus difficile quand il s’agissait de Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier ou des films de Lina Wertmüller, eux aussi distribués par New Line. Je me suis aussi occupé de la bande-annonce du premier long-métrage de Peter Weir, Les Voitures qui ont mangé Paris. Toute cette expérience a été précieuse. C’était un peu comme démonter des centaines d’horloges et utiliser les mécanismes pour fabriquer des petites montres. Dans Return of the Street Fighter, le héros frappe par exemple un adversaire si fort que ses yeux sortent de leurs orbites. Quand on regarde bien le montage, on se rend compte qu’il y a quelques frames de ci, quelques frames de ça... L’illusion vient de la coupe. Aujourd’hui on pourrait le faire en un seul plan grâce aux effets visuels, mais à l’époque il fallait faire preuve d’ingéniosité.
Vous aviez déjà l’intention de devenir réalisateur ?
Je me suis toujours vu comme un artiste oeuvrant dans un genre qui n’est pas particulièrement artistique. Les bons films d’horreur, c’est de l’art, mais la plupart sont assez merdiques. Surtout dans les années 1970/80 ! Les slashers étaient tournés pour très peu d’argent, souvent par des gens qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Chez New Line, je côtoyais d’autres monteurs qui me disaient souvent : « Mon Dieu, je ne peux rien faire avec cette séquence, ils ont oublié de tourner tel ou tel plan ! ». En jeune présomptueux, je m’étais dit que j’allais faire mon premier grand film à 25 ans, comme Orson Welles. Ça vous montre à quel point j’étais stupide. En réalité, j’ai tourné mon premier court-métrage Garden Party à 28 ans. Mais quand j’ai passé la trentaine, j’ai commencé à me poser des questions sur mon avenir. Heureusement, j’étais très proche de Robert Shaye. Je l’avais rencontré peu après la création de New Line, et nous étions devenus de très bons amis. Si je n’étais pas déjà occupé sur autre chose, Bob me faisait bosser. J’ai même remonté certains films en secret : pour Bob, tout était toujours trop long de quinze minutes, donc il fallait raccourcir. Nous dînions ensemble deux fois par semaine, lui, sa femme et moi. On partait en week-end ensemble, des choses comme ça. Je faisais partie des rares personnes dont l’opinion comptait vraiment pour lui. S’il avait une question ou un doute, il me demandait mon avis. Quand New Line est passée de la distribution à la production, Bob m’a montré quelques scripts. Le premier film qu’ils ont officiellement coproduit était Les Risque-tout de Mark L. Lester. Peu de temps après, Vendredi 13 est sorti et a rapporté beaucoup d’argent au box-office. Or New Line était très active sur le marché de la jeunesse : la compagnie avait démarré en distribuant des films sur les campus. Bob s’est dit qu’en produisant un film d’horreur à petit budget, il pourrait gagner beaucoup d’argent. J’y ai réfléchi, et je lui ai proposé l’idée de Dément. Le concept était très proche du film Blackout, qui s’inspirait d’un événement bien réel. En 1977, une panne d’électricité a plongé New York dans la pénombre pendant plusieurs jours. Je n’ai pas eu de courant chez moi pendant 48 heures ! Je me suis dit que dans un tel contexte, des criminels psychopathes pourraient s’échapper d’un asile, les systèmes de sécurité étant basés sur l’électricité. Dans mon projet initial, ces fous devaient déambuler dans Little Italy et s’attaquer à la Mafia. Mais New Line ne voulait pas tourner à New York, alors j’ai modifié l’intrigue. J’avais vraiment en tête un film Art & Essai plutôt qu’un simple slasher. Je ne me voyais pas comme un réalisateur d’exploitation, et je ne pouvais pas prendre ce sujet au sérieux ! Voilà pourquoi la scène d’ouverture onirique est truffée de symboles freudiens très ironiques. Le diner dans lequel se rend Martin Landau s’appelle « Mom’s », donc il entre littéralement dans le ventre de sa mère, et c’est là qu’on va lui couper les couilles ! Dément est une sorte de critique sociale, il pose la question de ce qui est considéré comme fou, et de ce qui ne l’est pas.
Le personnage de Donald Pleasence est presque aussi cinglé que ses patients, d’ailleurs. Vous inversez aussi les repères dans l’excellente scène finale avec Jack Palance.
Je crois que c’est l’une des meilleures scènes que j’ai réalisées. J’adore le contraste de ce type complètement fou qui comprend dans quel monde il vient de mettre les pieds.
Votre casting est incroyable.
Oui, et je pense sincèrement que Donald Pleasence est l’un des meilleurs comédiens de l’Histoire du cinéma. On le connaît surtout pour Halloween, mais je l’ai découvert dans Cul-de-sac de Polanski. Le diriger a été très intimidant au départ. Le premier jour, à l’hôpital, j’ai eu une absence pendant la première prise. J’ai donc dit à Donald : « C’était génial, on peut en refaire une ? » J’ai été beaucoup plus attentif pendant la seconde prise, à la suite de laquelle je lui ai demandé un petit ajustement. Et il a joué la scène exactement comme je le voulais. J’en ai eu les larmes aux yeux. C’était comme conduire une Formule 1. Landau était lui aussi un homme charmant. Nous sommes restés amis pendant longtemps, et il est un peu devenu mon mentor. À chaque fois que j’avais des questions sur le travail d’acteur, il était là pour m’aider. Il m’a même permis d’assister à des sessions de travail de l’Actors Studio. J’ai pu voir comment les enseignants parlaient aux acteurs, et j’ai beaucoup appris. J’ai eu la chance de retravailler avec lui sur 12h01 pm : prisonnier du temps. Quant à Palance, il était… intéressant. C’était un type assez flippant. Juste après avoir signé avec New Line, il a été engagé sur une série télévisée. Or les plannings allaient se chevaucher, et notre film était prioritaire. Il allait rater un tournage à Florence, et il a essayé d’annuler son contrat. New Line a menacé de le poursuivre, donc il a été contraint de participer à Dément. Il est arrivé lors du quatrième jour de tournage. Bob l’a rencontré avant moi, et il m’a dit : « Il est très en colère. Il ne veut pas être là. Un type l’a accosté dans la rue pour lui demander un autographe, et j’ai cru qu’il allait lui mettre son poing sur la gueule. ». J’ai réussi à ne pas sombrer dans la panique. Sa première scène contenait des lignes et des lignes de dialogue, et il m’a soudain annoncé qu’il avait besoin d’une journée supplémentaire. Hélas notre planning n’était pas extensible ! Il a fini par accepter de réciter son monologue en plan-séquence, et il a été absolument fantastique. Plus tard, il m’a dit qu’il refusait de tuer quelqu’un à l’écran, parce qu’il ne croyait pas en la violence. Je lui ai expliqué que les spectateurs avaient besoin de le percevoir comme une menace, et il m’a répondu : « Ne t’en fais pas, ils me verront comme ça. ». Et il avait raison. Après Dément, vous avez tourné La Revanche de Freddy.
Grâce à ma relation privilégiée avec Robert Shaye, j’ai pu lire le scénario des Griffes de la nuit des mois avant le tournage. Ensuite, Bob m’a demandé de l’aider sur le montage. Je n’ai pas fait grand-chose, j’ai juste aidé à choisir une musique temporaire avant qu’ils ne confient le score à Charles Bernstein. Donc je connaissais très bien le long-métrage, que j’ai vu en projection privée avant sa sortie. C’est sans doute pour ça que New Line m’a engagé lorsque Wes Craven a démissionné.
Que s’est-il passé exactement ?
Un jour, New Line m’a annoncé le départ de Wes. Ils étaient déjà en préproduction et ils devaient commencer à tourner six semaines plus tard. Ils m’ont demandé si j’accepterais de réaliser le film. Mon premier réflexe a été de refuser, car je méprisais les suites. Vous imaginez À bout de souffle 2 ? En plus de ça, je n’avais pas envie de signer un autre film d’horreur.
Et honnêtement, j’appréciais Les Griffes de la nuit, mais je ne le trouvais pas très bien réalisé. C’était le concept qui était incroyable, et Robert Englund était absolument fantastique dans le rôle de Freddy. Avant Les Griffes de la nuit, le tueur éta [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement
danysparta
le 13/10/2021 à 16:51Ah HIDDEN, combien de fois je l'ai vu ce film je ne saurai le dire, beaucoup plus que FREDDY 2 en tout cas. Me souviens vaguement de ALONE IN THE DARK mais j'aimais beaucoup son FLIC ET REBELLE qui est introuvable de nos jour que ce soit en DVD ou en bluray, ce qui est vraiment dommage pour ce film qui rend hommage à 48 HEURES de Walter Hill.