Carrière : Harry Kümel
Des années 1950 au tout début des années 1960, vous vous êtes fait la main sur une dizaine de courts-métrages comme Le Gant, Sintesis ou Pandora…
À mon sens, ce n’étaient pas des courts-métrages, plutôt des « films d’amateur » tournés en 8 puis en 16 mm avec des caméras Bolex. C’est comme ça que j’ai appris le métier. Je les réalisais en compagnie d’un cinéaste flamand du nom de Herman Wuyts. C’était un ami. En quelque sorte, il a transmis son savoir-faire technique à tout son entourage. Il n’avait jamais appris le cinéma, mais il l’avait dans le sang. C’était un très bon cadreur, mais surtout un immense monteur. Il m’a tout appris de la composition du cadre et du montage. Il n’avait aucun sens de la dramaturgie, mais il possédait un sens visuel hors du commun. Il a réalisé un merveilleux film qui s’appelle Le Mur, ou quelque chose comme ça (sans doute le court-métrage De Overkant, allégorie sur les régimes totalitaires datant de 1966, où les individus qui osent s’éloigner d’un mur longeant une rue sont froidement abattus – NDR).
Retrouve-t-on des traces de vos courts dans vos longs-métrages ?
Au-delà du bagage technique qu’ils m’ont permis d’acquérir ? Non. Pour moi, les thématiques présentes dans l’oeuvre d’un cinéaste n’existent pas. Il n’y a que le cinéma. C’est tout. Le reste, c’est de la… Par exemple, Hitchcock a-t-il développé des thématiques au fil de sa carrière ? Mais non ! Ce sont des explications de Français, ça. (rires)
Vous avez réalisé des téléfilms et des documentaires pour la télévision, abordant ainsi beaucoup de sujets différents, de Claudia Cardinale à la censure en Belgique…
C’est là que j’ai appris à travailler en équipe. À cette époque, je bossais encore avec Herman Wuyts, qui était mon cadreur attitré. Mais c’est moi qui plaçais les lumières, car cela ne l’intéressait pas, pas plus que le travail sur la pellicule.
La façon de travailler la lumière était très différente lorsqu’on tournait en pellicule…
En effet. C’était un véritable art de manier la pellicule, les négatifs. Je connais tout de cela, par exemple la façon dont on pouvait obtenir ces fabuleux gros plans d’actrices dans les films des années 1930. C’est purement une question de technique, car il n’y avait pas de couche anti-halo. Donc, on surexposait, mais on n’employait pas de filtres. Et quand la couche anti-halo a été inventée en 1935 ou 36, les films sont devenus beaucoup plus gris. C’est le genre de choses qu’il faut savoir, y compris aujourd’hui, à l’ère du numérique, même si ça n’a plus rien à voir. Néanmoins, le fait de comprendre la nature du Technicolor permet de demander à son directeur de la photographie d’émuler les additifs utilisés jadis. Je l’ai fait récemment sur quelques pubs. En expérimentant, on obtient un résultat qui, pour certains films, est nécessaire si l’on veut rappeler le côté « conte de fées » propre au cinéma. On a un peu tenté cela sur Les Lèvres rouges, mais avec la pellicule Kodak de l’époque, ç’a été difficile.
Vos documentaires ont-ils eu des répercussions sur votre manière d’appréhender la fiction ?
Ils n’illustraient pas le réel, ils procédaient plutôt par métaphores. Des « documentaires de métaphores », si vous voulez. On cultivait l’illusion en tournant dans des villes modernes, mais sans pour autant faire appel à des reconstitutions. En revanche, on utilisait une voix off énoncée par des comédiens. Je ne voyais pas vraiment de différences entre le fait de travailler sur un documentaire ou une fiction. Mes documentaires étaient tout aussi dramatiques.
Avant d’adapter Malpertuis en 1971, vous sentiez-vous proche des écrits de Jean Ray et de son univers ?
Non, pas du tout. Après avoir terminé mon premier film en 1968, Monsieur Hawarden, une productrice de télévision avec qui j’avais souvent travaillé m’a conseillé de lire Malpertuis. Elle pensait que ça me correspondait bien. Je l’ai fait, et je me suis dit que c’était un roman impossible à adapter. J’ai toutefois fini par penser que c’était faisable, à condition de confier le script à un grand scénariste. Entre-temps, lors de l’enregistrement d’une émission à Paris, on m’a présenté l’éditeur Jean-Jacques Pauvert. Je lui ai demandé si, par hasard, il connaissait quelqu’un qui pourrait adapter Malpertuis. Il m’a répondu qu’il n’y avait qu’un seul homme en France capable de le faire : Jean Ferry. Son nom ne m’était pas familier, et Pauvert m’a soufflé : « Quai des Orfèvres, ça ne vous dit rien ? ». Bien sûr, je connaissais le film d’Henri-Georges Clouzot, avec qui Ferry a souvent travaillé – notamment sur Manon, qui est un mauvais film, mais c’est autre chose… J’ai demandé à Pauvert s’il pensait que Ferry serait susceptible d’accepter, et il m’a répondu que le scénariste n’avait plus beaucoup de travail, si ce n’est sur le feuilleton Les Cinq dernières minutes, ce qui représentait vraiment le fond du panier… Je suis donc allé rendre visite à Ferry. Il connaissait le roman Malpertuis et était étonné que je veuille l’adapter, mais il a tout de suite accepté de le faire. Cela devait être un gros film, et je voulais confier le rôle principal à Orson Welles. Forcément, mettre tout ça sur pied allait prendre du temps, et c’est alors qu’on m’a proposé Les Lèvres rouges. Pour ce dernier, nous avons écrit un traitement d’environ 60 pages, sur la base duquel le film a été vendu à Cannes, au Marché du Film. Mais je trouvais ce traitement trop racoleur, et je l’ai envoyé à Jean Ferry pour savoir ce qu’il en pensait. Peut-être qu’il allait me le jeter à la figure en me disant que c’était de la merde… Mais il m’a envoyé un télégramme disant : « C’est la grande libération. Je me charge des dialogues. ». Finalement, il a fait bien plus que cela, en dépit de ce qui est précisé dans les crédits : il s’est occupé du scénario dans son intégralité. J’ai écrit certaines scènes qui sont dans le film, mais l’essentiel vient de lui. C’est ainsi que Jean et moi avons travaillé de concert sur Malpertuis et Les Lèvres rouges. Le scénario original de Malpertuis a aussi été fortement « trituré ».
Par les producteurs ?
Oui. Une pratique habituelle… Ils voulaient quelque chose de plus commercial par rapport à ce que le film est finalement devenu. Malpertuis a énormément été retravaillé au montage et en postproduction. D’ordinaire, ça ne me dérange pas, mais dans ce cas précis, les producteurs ne comprenaient pas ma démarche. Le film n’a pas non plus été un gros succès… Néanmoins, ces expériences m’ont permis d’entretenir une collaboration fructueuse avec [...]
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