Carrière : Gérard Kikoïne

Publiant en ce moment un livre de mémoires chaudement illustré, KIKOBOOK, l’ancien pape du X français retrace pour nous une carrière qui l’a d’abord vu apprendre toutes les ficelles de la fabrication d’un film, avant d’en venir à diriger certains monstres sacrés de l’horreur, même s’ils étaient moins bien gaulés que Marilyn Jess et Brigitte Lahaie.

 

Vous êtes un enfant du sérail, votre père ayant possédé une importante société de doublage…

Déjà, et j’en parle dans le livre, je suis né dans un quartier en dessous de Pigalle. Entre la place Clichy et Anvers, j’avais donc 22 cinémas, et pendant dix ans, j’ai dû voir deux ou trois films par semaine. Mais ça allait vraiment dans tous les sens, de L’Enfer des hommes avec Audie Murphy à Fernand cow-boy, en passant par des trucs improbables que mon grand frère m’emmenait voir. C’est que je n’ai eu la télé qu’à 18 ans, au moment où j’ai commencé à travailler. Car effectivement, mon père avait introduit le doublage en France dès l’avant-guerre. Et après que j’ai eu brillamment raté mon bac, il m’a dit : « Allez hop, tu vas rentrer dans le métier. ». Mon frère était déjà chef-monteur image et son, et moi, de 1964 à 1970, j’ai été assistant, j’ai participé à des enregistrements… Ce n’était pas comme maintenant où tout le monde peut se pointer avec une caméra numérique : bon, très bien, mais à l’époque, pour manier la pellicule 35 mm et les bandes magnétiques, il fallait toute une formation qui ne se faisait pas en deux jours, hein ! Et puis je vais finir là-dessus : pendant ces six ou sept ans où j’ai bossé sur le son ou comme assistant-monteur image, j’ai fait des rencontres vraiment formatrices. Par exemple, dans le labo où mon père avait ses auditoria – un auditorium, des auditoria ! –, Abel Gance est venu remonter et sonoriser son Napoléon. J’ai aussi travaillé sur Mais ne nous délivrez pas du mal avec Joël Séria, qui était très technique et m’a beaucoup appris sur le rythme. Ou avec Riccardo Freda, un personnage extraordinaire qui m’a lancé alors que j’avais 19 ou 20 ans : « Gérard, je vais te dire une chose ! Quand, à la fin d’un film, les personnages sont obligés d’expliquer pourquoi ils ont fait les choses et ce qui s’est passé, c’est qu’il y a un vrai problème dans le scénario. ». Et il avait raison, il n’y qu’à voir certaines séries actuelles. Bref, j’étais devenu un garçon du cinéma, quoi, et je ne me voyais pas faire autre chose.

Comment êtes-vous passé dans le cinéma bis, en travaillant notamment pour le producteur Robert de Nesle ?

Fin 1970, mon père est parti faire du sous-titrage chez TitraFilm, et il a ainsi laissé la boîte à mon frère. Puis nous avons fermé, et je me suis naturellement mis à mon compte, ouvrant une salle de montage au sein du labo CTM. J’y ai fait par exemple des VF pour des films de la Hammer, comme Dr. Jeckyll et sister Hyde. Car je continuais avec d’anciens clients de mon père, dont de Nesle, que nous connaissions du temps où il faisait doubler des péplums italiens qu’il coproduisait. Il nous a ensuite donné des films à monter, comme les Coplan de Freda et d’Yves Boisset, lequel avait une énorme culture cinématographique… Un sacré bonhomme, de Nesle, qui te broyait la main quand il te la serrait. Je l’appelais « M. le comte », et comme Harry Alan Towers dont je reparlerai, ce n’était pas un financier comme maintenant, mais un vrai producteur qui se lançait dans des trucs incroyables. Et qui sortaient, car il y avait encore des milliers de cinémas en France et donc de la place pour les séries B. Ah, pour de Nesle, j’avais aussi bossé sur Mektoub d’Ali Ghalem. Vous vous rendez compte de ce qu’il pouvait produire ? Un film sur la condition des travailleurs algériens en France, pour lequel j’étais parti avec un magnétophone Nagra pour prendre des bruits de travaux, car nous n’avions pas ça dans notre sonothèque. Bon, bref, M. le comte débarque un jour et me dit : « Je sais que vous faites maintenant tout le son, j’ai justement un film de Jess Franco, Les Démons. ». Nous partons donc à la projection d’une copie de travail pleine de collures, tirée en noir & blanc parce que ça revenait quatre fois moins cher, et muette évidemment. En toute humilité, je suis alors devenu ce qu’on appelle maintenant « sound designer ». Je travaillais avec une adaptatrice à partir d’une espèce de scénario envoyé par Franco avec son prémontage, je prenais un bruiteur, je mettais des sons d’orage en off, je plaçais la musique, etc. Car on me laissait une totale liberté, et à ce niveau-là, je remercie de Nesle et aussi Franco, que je n’ai jamais vu de ma vie. Il n’avait pas le temps de venir, étant toujours en train de tourner. Mais si ses Démons étaient assez construits, ça s’est ensuite gâté de plus en plus. Il y en avait un, c’était Maciste contre la reine des Amazones. J’te raconte pas : un héros de l’antiquité avec des bottes en caoutchouc…

Personnellement, j’adore tous ces films…

Je veux bien qu’on me dise que Jess Franco est un génie, mais nous, on se marrait. En revanche, une chose bien, c’est qu’il prenait souvent Howard Vernon, qui venait se postsynchroniser à la fois en français et en anglais. Car je faisais toujours les deux versions. Howard était un grand monsieur, mais qui savait délirer. Comme nous recevions parfois seulement deux pages de scénario, nous inventions des trucs avec l’adaptatrice, et il me glissait : « Mais Gérard, je ne reconnais pas tout à fait mon personnage. ». (rires) Une fois, il a même commencé un striptease pour charmer le petit projectionniste qui chargeait la bande rythmo faisant défiler les dialogues sous l’écran ! J’ai ainsi fait le son d’une dizaine de Franco, dont un formidable – enfin, formidable… qui n’était pas mal foutu – intitulé Le Journal intime d’une nymphomane. Il y avait une scène sur une énorme grande roue, et je n’avais pas le bruitage correspondant. Or, je mixais à quatre mains avec un pote ingénieur du son, et il va donc chercher un micro et me dit de tourner doucement un portemanteau en fer qui se trouvait là. Du coup, quand vous regardez le film, le grincement de la grande roue est celui d’un petit portemanteau ! Vous voyez : sans en avoir l’air, c’était très créatif. En revanche, les levrettes, c’était toujours en tapant dans le creux de la main. (rires) Nous pouvions aussi donner une [...]

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