Carrière : George Mihalka
Comment êtes-vous entré dans le cinéma ?
Un peu par accident. J’ai d’abord passé un diplôme de littérature à l’université Sir George Williams, maintenant université Concordia, à Montréal. Puis je me suis inscrit à un mastère en ce qu’on appelait alors « technologie éducative ». Il s’agissait d’utiliser les médias comme outil d’enseignement, avec notamment les premières petites caméras portatives : c’était le début de la révolution vidéo. Comme j’ai toujours aimé l’art, la photographie, cela me semblait être une parfaite combinaison. Je pouvais faire quelque chose de créatif et de visuel, et en même temps, cela collait avec mon projet de devenir professeur de littérature. Or, je partageais alors un appartement avec un très bon ami qui étudiait le cinéma à la même université. Il m’aidait donc sur mes vidéos, tandis que je l’aidais en retour sur ses courts-métrages en pellicule. Et un jour, le département cinéma m’a approché pour me dire : « C’est étrange, ton nom apparaît sur tous les films qui ont gagné des prix chez nous, mais tu ne fais pas partie du programme. Veux-tu y entrer ? ». C’était un cursus très sélectif, avec 24 étudiants en première année, qui n’étaient plus que huit à la fin. Mais comme je connaissais déjà pas mal de choses, ils ont accepté que je repique directement en 3e année, malgré l’opposition des gens de la technologie éducative, qui méprisaient l’industrie du cinéma et m’ont dit : « Ben, si tu veux juste être un technicien, vas-y. ». Cependant, je n’ai jamais regardé en arrière, et deux ans après avoir été diplômé, j’ai reçu une offre pour réaliser mon premier long-métrage.
C’était Pinball, des filles et des flippers, une histoire à la American Graffiti…
Oui, les producteurs voulaient faire un mélange entre American Graffiti et Lâche-moi les baskets. Ils m’avaient été présentés par un gars appelé Bob Presner, qui a été le premier diplômé d’une école de cinéma à entrer dans l’industrie, laquelle regardait encore de haut l’enseignement universitaire, estimant que les gens devaient commencer en bas de l’échelle et monter en grade à la sueur de leur front. Bob était alors le directeur de production numéro 1 à Montréal, et il me connaissait car il avait fait partie de jurys pour des films d’étudiants. À cette époque, je m’intéressais à des genres sérieux, comme la science-fiction : au sortir de la fac, mon film préféré était THX 1138. Or, Bob m’a dit : « Ce n’est pas exactement du Shakespeare, mais c’est une expérience qu’on ne te proposera nulle part ailleurs aussi rapidement. ». J’ai donc pris l’offre comme un défi technique. Comment allais-je recréer les États-Unis au milieu du Canada français ? (rires)
Oui, le film est censé se passer en Californie…
En Californie, ou quelque part aux États-Unis où il fait beau et chaud. Un autre défi intéressant était de travailler avec tous ces jeunes acteurs de 17 ou 18 ans, pour la plupart frais émoulus d’une école de théâtre. Toujours est-il que Pinball… a eu pas mal de succès, s’étant vendu partout dans le monde. Je n’en ai jamais vu un centime hormis mon salaire de départ, mais cela m’a valu d’être contacté par John Dunning et André Link, les patrons de Cinepix, qui s’étaient dit : « OK, ce gamin sait comment faire un film qui rapporte de l’argent. ». J’avais 27 ans, et ces gars-là étaient des dieux à mes yeux. Ils avaient produit des tas de gros films, les premiers Cronenberg, ils avaient fait Arrête de ramer, t’es sur le sable ! (rires) C’était vraiment la meilleure option au Canada, car s’ils disaient qu’ils mettaient quelque chose en chantier, c’était garanti. J’ai donc accepté quand ils m’ont proposé un contrat pour deux longs-métrages. Ils voulaient que le premier soit une comédie, et j’avais justement gardé des liens avec des camarades de fac montréalais qui étaient devenus auteurs au National Lampoon, le top du top des magazines satiriques de l’époque. Je leur ai suggéré une satire folle et sanglante des soap operas hospitaliers, avec des étudiants en médecine ivres morts qui foirent les opérations, etc. Mais ce qui est arrivé, c’est qu’un des principaux scénaristes n’a plus donné de nouvelles du jour au lendemain. Ce n’est que plus tard que nous avons su qu’il était tombé malade, mentalement. Le jour prévu, j’ai ainsi apporté un script de 800 pages à John, qui m’a dit : « Je n’aurai pas fini de le lire au moment où vous êtes censés terminer le tournage. Nous ne pouvons pas produire cela. Tu ne veux pas faire autre chose pour ton second long-métrage ? ». Il m’a alors tendu une page contenant le synopsis, ou plutôt l’idée de ce qui allait devenir Meurtres à la St-Valentin. Il a ajouté que la Paramount était intéressée, mais qu’il y avait une astuce : le film devait être prêt pour une sortie le 14 février, dans 1200 salles en Amérique du Nord. Nous étions à la fin juillet, et j’ai dit : « Mais bien sûr. Six mois, c’est plus qu’il ne m’en faut. J’ai 27 ans ! Yeah !!! ». (rires) Pendant qu’un jeune scénariste de Los Angeles développait le script, je suis donc parti avec Bob Presner, qui faisait maintenant partie de mon équipe, effectuer des repérages en Nouvelle-Écosse, le seul endroit au Canada où il y ait des mines de charbon. Ces décors m’ont rappelé Voyage au bout de l’enfer, mon film préféré de l’époque, et cela m’a donné envie de rajouter une couche supplémentaire concernant les personnages et leur vie, pour qu’il n’y ait pas seulement des tueries.
C’est effectivement le premier slasher avec des personnages d’ouvriers…
C’est toujours le seul. Je pense que c’est en partie dû au fait que nous étions aussi pressés : John m’avait d’ailleurs dit que tant que les meurtres étaient créatifs, il se foutait du reste. Cela nous a donné cette liberté de créer un monde, au lieu de montrer juste des maisons de banlieue américaines et un lycée. Et d’avoir des personnages dont les problèmes sont plus profonds que « Comment vais-je me saouler ce soir ? » ou : « Quelle jeune pom-pom girl vais-je pouvoir baiser ? » (rires) Bref, nous avons débarqué début septembre en Nouvelle-Écosse, où nous avons tourné le film malgré tous les problèm [...]
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