Carrière : Gary Sherman

Ce cinéaste rare à tous les sens du terme (il a fait très peu de longs-métrages) était l’un des invités de marque du dernier festival fantasia de Montréal. Et c’est tant mieux, car nous avons enfin pu interroger une des idoles de Fausto Fasulo, qui vénère Le Métro de la mort, Réincarnations et Vice Squad.

Comment vous êtes-vous retrouvé à réaliser votre premier long-métrage en Angleterre ?

Je suis de Chicago, ce qui explique beaucoup de choses, je pense. J’étais ainsi dans les rues de la ville le 28 août 1968, la nuit de l’émeute, car j’étais très engagé politiquement à l’époque. Et j’ai été aussi honteux de l’Amérique le 28 août 1968 que je l’ai été en novembre 2016, lors de l’élection de Trump. (rires) Après que Nixon a été élu, j’ai donc décidé de quitter les États-Unis. Or, ma mère était britannique, et j’avais beaucoup de famille en Angleterre. Du coup, je suis allé là-bas, les nombreux prix reçus par un court-métrage que j’avais réalisé me permettant d’avoir une carte de séjour au titre d’artiste-visiteur. En Angleterre, j’ai travaillé sur des publicités dont le producteur était un gamin de New York du nom de Jonathan Demme, qui est devenu mon meilleur ami. Qu’il repose en paix, il me manque affreusement. Bref, comme j’avais réalisé des pubs qui avaient été très remarquées et avaient remporté plusieurs prix, les gens me disaient sans cesse de faire un long-métrage. En effet, à Londres, tout le monde dans le milieu de la pub travaillait aussi dans le cinéma, comme Ridley Scott, Karel Reisz. Avec Jonathan ou d’autres, j’ai ainsi rédigé plusieurs scripts qui n’ont intéressé personne, car ils étaient très politiques. Notamment, le producteur John Daly m’a dit : « Tu es un bon scénariste mais tes sujets sont vraiment too much, écris plutôt un film d’horreur. ». J’ai alors pensé : et si je cachais un message politique à l’intérieur d’un film d’horreur ? À ce moment, j’étais dans le sud de l’Angleterre pour tourner une série de spots pour des savonnettes, avec un budget quatre fois plus gros que celui que nous allions avoir sur Le Métro de la mort. (rires) Le représentant de l’agence de pub était un gars du nom de Ceri Jones, et il venait de terminer un roman dont j’avais lu le manuscrit et qui était très bon. Je lui ai parlé de mes recherches sur les tunnels de métro abandonnés, et chaque soir pendant deux semaines, nous avons écrit ensemble le scénario. De retour à Londres, nous l’avons fait lire à Jonathan, et il nous a dit qu’il était très bon, et qu’il allait le passer à son ami Paul Maslansky. Ce dernier l’a transmis à son tour à Jay Kantor et, Alan Ladd Jr., ou « Laddie », pour qui il venait de produire un film. Tous deux ont adoré le script et annoncé qu’ils voulaient l’acheter. Jonathan leur a répondu : « Oui, mais c’est Gary qui réalise. ». En fait, il m’a vendu comme réalisateur de la même manière qu’il me vendait pour les publicités ! Jay et Laddie ont accepté, ont levé l’argent, et nous nous sommes mis d’accord sur les dates de tournage. Car comme j’étais déjà booké sur un tas de pubs, je n’étais disponible que pour une fenêtre de trois ou quatre semaines, pendant lesquelles j’avais prévu de partir en vacances. Jonathan devait être le producteur, mais entre-temps, il était parti tourner un spot à Los Angeles avec Joe Viola, un autre réalisateur chapeauté par notre société publicitaire. Là, ils ont rencontré Roger Corman, qui est littéralement tombé amoureux de Jonathan et lui a lancé : « Tu dois produire des films pour moi. ». Jonathan m’a donc appelé pour me dire que je devais de toute façon saisir ma chance, et que Paul pouvait faire le boulot à sa place. C’est ainsi que Paul Maslansky a produit Le Métro de la mort, tandis que Jonathan Demme produisait Angels Hard as They Come réalisé par Joe Viola. La suite appartient à l’Histoire. (rires)


Quelles étaient les recherches dont vous parliez plus haut ?

Je suis un lecteur invétéré et je fais toujours beaucoup de recherches, car j’aime partir de la réalité. Si Vice Squad : descente aux enfers est mon film préféré, c’est parce qu’il ne comporte rien qui ne soit absolument vrai, absolument crédible. Et même pour Réincarnations, qui contient pourtant beaucoup de surnaturel, j’ai effectué des recherches sur les pompes funèbres. Je suis comme cela, c’est tout. En l’occurrence, j’étais fasciné par le métro de Londres, sachant que c’était un réseau de chemin de fer souterrain unique en son genre quand il a été construit dans les années 1800. J’ai ainsi découvert que pour creuser les tunnels, il y avait des tas d’entreprises se disputant les contrats, dans une course à qui ferait le mieux et le plus vite. Du coup, il y a eu beaucoup d’accidents et de morts. J’ai notamment lu une chose sur un éboulement dont les victimes n’avaient jamais été déterrées, car on était sûr que tout le monde était mort. Et qui était en bas ? Des gens de la classe laborieuse. Donc : qu’ils aillent se faire foutre, pourquoi les déterrer ? C’est ce qui m’a vraiment inspiré pour écrire Le Métro de la mort. D’autre part, quand je suis arrivé à Londres, j’ai été frappé par l’attitude des Britanniques envers les Américains, qu’ils tenaient pour des racistes. Pourtant, je trouvais que dans l’Angleterre du milieu des années 70, il y avait encore un grand mépris de classe. Entendons-nous bien, j’adore ce pays. Mais je voulais dire au monde que les Britanniques, bien qu’ils se voient comme une société ouverte, sont aussi ségrégationnistes que les autres.


Du coup, le monstre, dernier descendant d’une micro société primitive, est très pathétique…

Il représente la classe défavorisée, pour laquelle j’ai une grande affinité. Je suis juif, mes parents avaient beaucoup d’amis rescapés de l’Holocauste, mon papa a lui-même été impliqué dans le mouvement des droits civiques pendant toute sa vie. Tout cela a forgé mon engagement politique dès l’époque où je marchais à quatre pattes : je penche très, très à gauche, je suis un libéral irréductible. Ainsi, le personnage de « L’Homme » n’est pas maléfique, même s’il fait ce que nous considérons comme des choses maléfiques, c’est-à-dire tuer des gens et les manger. Car il a été créé par une société indifférente qui l’a forcé à survivre, comme ont dû survivre ses ancêtres après avoir été enterrés vivants. Quand les adultes sont morts, les enfants ont perdu le langage et ont régressé vers un état quasi animal, à peine au-dessus du n [...]

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