Carrière : Gabe Bartalos

La venue de toute la tribu Frank Henenlotter au festival Extrême Cinéma de Toulouse nous a permis de rencontrer ce géant paisible dont la carrière, partagée entre des produits farouchement indépendants et des blockbusters où il a assisté les plus grands, résume à elle seule 30 ans d’effets spéciaux à Hollywood.
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Puisque vous êtes ici à Toulouse pour une rétrospective Frank Henenlotter, commençons par lui…

J’ai rencontré Frank pendant la préparation d’Elmer le remue-méninges. Il cherchait un artiste d’effets spéciaux à New York et il a ainsi eu un entretien avec Arnold Gargiulo, auprès de qui je travaillais à l’époque. Arnold a vraiment été le premier à m’ouvrir les portes d’une connaissance pratique des effets. Avant cela, j’étais comme un gamin mettant de la pâte à modeler sur son visage pour imiter les monstres que j’avais vus au cinéma et à la télévision. Puis je l’ai rencontré dans une convention, et il m’a invité à venir travailler dans son studio, d’abord gratuitement comme apprenti et ensuite en étant un peu payé. Finalement, je suis allé sur les plateaux de tournage à un très jeune âge, vers 16-17 ans, et j’y ai appris toutes les matières dignes d’un film professionnel : la fibre de verre, les résines, les uréthanes, les différents types de latex, etc. C’était comme si les réponses aux questions de l’univers venaient à moi. (rires) Car Arnold était très généreux et partageait ses informations, tout comme Dick Smith, qui se rendait toujours disponible quand nous allions le voir à Westchester, dans l’État de New York. Bref, Frank n’a pas engagé Arnold finalement, mais comme j’étais aussi venu à la réunion, il a dit à son producteur que je pouvais faire l’affaire. Sur l’idée d’un Elmer parasite, j’avais en effet réalisé une sculpture conceptuelle. Elle était très différente de ce que le personnage allait être, mais Frank a senti que nous étions sur la même longueur d’onde et il m’a fait passer le scénario. C’était très excitant, car les films d’horreur ont souvent un seul aspect : disons une créature à fabriquer OU des effets sanglants OU des maquillages d’acteurs. Au contraire, Elmer… combinait tous ces éléments.




Votre collaboration préférée avec Henenlotter était sur Frère de sang 2, à cause des nombreux monstres à fabriquer ?

C’était d’abord super de recréer Bélial, car je l’adorais dans le premier Frère de sang et Frank était d’accord pour rester fidèle à son design original, tout en le portant au niveau d’une oeuvre d’art. En plus de cela, c’est vrai qu’il y avait tous ces autres personnages inédits. Cinq ou six étaient déjà décrits dans le scénario, mais l’attitude de Frank était du genre : « Tu sais, s’il y a plus de créatures, je les filmerai. ». Et c’est tout ce que j’avais envie d’entendre ! J’ai ainsi avancé très rapidement, créant un personnage à face de lune, un gars aux dents géantes, un homme-souris, un cerveau vivant, etc. J’ai même continué à en fabriquer pendant le tournage, car je savais qu’il y aurait plus tard des scènes avec une foule de freaks. Je suis donc très fier de ce que nous avons livré dans Frère de sang 2, en termes de volume. Je pense cependant qu’Elmer… est un film plus complet : j’aime son ton dépressif, c’est une oeuvre très dure.


Que diriez-vous de Stuart Gordon ?

À mon avis, le film le plus représentatif de sa personnalité, c’est Dolls – les poupées. Car c’est une oeuvre presque schizophrénique, au bon sens du terme. D’un côté, elle peut jouer pour un public d’ados, grâce à sa palette de couleurs très vive et théâtrale. Cependant, cela devient ensuite un conte de fées noir, car viennent s’ajouter des séquences très âpres et brutales, presque sadiques. De la même manière, Stuart a le rire facile, et il est très malin et perspicace sur un tas de sujets. Mais comme moi, dès qu’il y a une occasion de rendre le matériau plus sombre, il se jette dessus. En fin de compte, c’est un grand narrateur, car il sait à quel moment inclure de l’horreur ou de la violence graphique, quand il s’agit de dire au public, assez tôt dans le récit, que la menace est très réelle. Ses films ne sont jamais cruels ou méchants tout du long, j’oserais même dire qu’ils sont parfois presque lumineux. Mais à d’autres moments, ils frappent très fort, si bien que les spectateurs se disent : « OK, nous sommes dans une histoire qui a de vraies conséquences. ». Stuart a un style de réalisation qui lui est propre, il sait exactement quelles émotions il veut obtenir et ce qui doit se passer à l’intérieur du cadre. Néanmoins, si quelque chose se présente, il l’exploitera pour rendre le film meilleur. Sur Dolls… par exemple, avec les matériaux que nous pouvions trouver en Italie, nous avons conçu les plans d’insert où les poupées se cassent et laissent échapper de petites entités démoniaques qui hurlent et se décomposent. C’était très satisfaisant de construire ces effets, de l’idée de départ au résultat final, en les sculptant, les moulant puis les animant, pour une scène qui n’était pas encore écrite deux semaines auparavant. Des années plus tard, Stuart m’a approché pour une adaptation à assez gros budget du Cauchemar d’Innsmouth, une nouvelle de H.P. Lovecraft qui est chère à son coeur. C’était cool car il y avait beaucoup d’illustrations originales créées par Bernie Wrightson, que je devais traduire en trois dimensions avec des versions miniatures de ces êtres mi humains, mi « peuple de la mer ». (rires) Finalement, il n’a pas fait ce film, mais il y a deux ans, il m’a appelé pour une pièce de théâtre intitulée Taste – une histoire très dure et démentielle, basée sur le cas réel d’un cannibale allemand qui a passé une annonce pour voir si une personne en fin de vie était prête à mourir de ses mains et à être mangée ! C’était donc de la dynamite, car même si la pièce n’est pas vraiment de l’horreur hardcore, Stuart voulait frapper les esprits avec des trucs très viscéraux. Et puis, vous savez, travailler pour le théâtre est très intéressant, puisque vous devez adopter une autre manière d’envisager les effets, ces derniers étant joués en direct devant un public, sans qu’on puisse s’appuyer sur le montage cinématographique.


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