
Carrière : Christopher Young
L'aspect gothique de vos scores est devenu une marque de fabrique, comme en témoignent vos Hellraiser, La Revanche de Freddy, La Mouche 2 ou encore Spider-Man 3.
Chaque compositeur s’inspire de la musique avec laquelle il a grandi. Nous filtrons tous nos influences, nos goûts, nos choix, et nous les réutilisons intuitivement quand nous écrivons une partition. C’est un processus très intime, qui n’est pas forcément conscient. Ce n’est pas du plagiat, il s’agit de s’inscrire dans l’héritage de ce qu’on a aimé. Mes influences en termes de musiques de film sont évidentes : on retrouve chez moi beaucoup de Herrmann et de Goldsmith. Au niveau de la musique classique, j’aime énormément Paderewski, Xenakis, Ligeti… Ces compositeurs m’ont guidé tout au long de ma carrière.
Votre style se distingue par des mélodies entêtantes et des motifs rythmiques très singuliers. C’est très frappant dans Jennifer 8, La Part des ténèbres, The Grudge ou plus récemment le remake de Simetierre. C’est en partie dû à votre passé de percussionniste ?
Je pense que c’est absolument, exactement, positivement la raison pour laquelle j’écris de cette manière ! (rires) Mon esprit pense de façon rythmique. Il est capable de créer des motifs et des figures mélodiques très compulsives. Souvent, quand je me réveille le matin, la première chose qui me vient en tête est un motif rythmique, dans sa forme la plus pure, sans notes. J’adore le défi que représente l’écriture d’un bon ostinato. Et trouver un ostinato qui fonctionne et qui vous hante, ce n’est pas évident ! Mon passé de percussionniste m’aide à mieux comprendre certaines choses, à mon avis. Je rêve de pouvoir composer un morceau de percussions pour une scène d’action un jour, peut-être un trio ou un quatuor de percussionnistes ! Ce serait formidable. Il faudrait que je trouve le bon projet, et surtout le réalisateur qui m’autorise à faire ça.
Vous semblez être très impliqué dans le processus d’orchestration (adaptation et répartition des différentes voix au sein de l’orchestre – NDLR), ce qui n’est pas le cas de tous les compositeurs hollywoodiens.
Oui, en effet. J’ai orchestré moi-même mes quinze premières bandes originales pour des raisons de budget, et ça m’a appris à écrire pour un grand orchestre. Si je m’étais contenté de produire des maquettes sur un synthétiseur, je n’aurais pas appris autant de choses. Bruce Broughton (brillant compositeur du Secret de la pyramide – NDLR) est le premier compositeur à m’avoir aidé dans ce processus. Il s’est assis à mes côtés et m’a montré comment répartir les mélodies et les contrepoints dans l’orchestre. Ensuite, Jeff Atmajian m’a assisté sur La Mouche 2. Il a fait un travail incroyable sur cette B.O., et ça n’a certainement pas été facile pour lui. D’ailleurs après La Mouche 2, j’ai recommencé à orchestrer moi-même pendant un temps, notamment sur Hider in the House et Rapid Fire. Sur Jennifer 8, j’ai fini par engager Pete Anthony, qui est devenu un collaborateur régulier. Je suis assez infernal, et j’ai dû apprendre à laisser à mes orchestrateurs une certaine marge de manoeuvre. Si on essaie de contrôler absolument tous les détails, on s’interdit d’améliorer son score. Les orchestrateurs sont en quelque sorte des chirurgiens plastiques. Ils prennent votre composition et l’affinent, lui donnent une dimension supplémentaire. Ils la font briller davantage. Aujourd’hui encore, mes brouillons sont très minutieux et détaillés, ils incluent déjà presque tout, mais je permets à mes orchestrateurs d’ajouter des petites choses qui vont faire la différence.
Comment avez-vous rencontré Clive Barker ?
Tout a commencé quand j’ai gagné l’affection et l’intérêt de Tony Randel. Avant de devenir le réalisateur de Hellraiser II, il a oeuvré sur le premier opus comme coordinateur de la production. Il était employé par New World Pictures, la société de Roger Corman, qui cofinançait le film. Il avait travaillé pendant un temps en tant que chef de la postproduction, et il recherchait en permanence des nouveaux talents. C’était une petite compagnie, spécialisée dans les petits budgets, donc Corman demandait à ses équipes de recruter des jeunes artistes tout juste sortis de l’université. Ils passaient donc souvent à l’UCLA ou à l’USC pour voir ce qu’ils pouvaient dénicher ! Tony Randel a entendu parler de moi par une étudiante monteuse qui avait pu écouter mon travail. Il a décidé de regarder mon second long-métrage, La Force, lui aussi réalisé par deux anciens de l’UCLA, et il a été très impressionné par ce que j’ai accompli avec un budget aussi limité. Il s’est dit que je pourrais être utile au sein de New World Pictures. À partir de là, j’ai fait pas mal de films pour Tony : La Vengeance de l’ange, DEFCON-4, Wheels of Fire… Quand il s’est rendu en Angleterre pour surveiller le tournage de Hellraiser, il a demandé à Clive Barker quelle était son intention pour le score. Clive lui a dit qu’il pensait utiliser le groupe Coil. Tony a insisté pour les rencontrer, parce qu’il n’était pas sûr qu’ils soient au courant des exigences d’une musique de film d’horreur. Coil est un groupe d’ambient et de musique industrielle absolument brillant, ils ont écrit des choses remarquables, mais ils n’avaient jamais travaillé pour le cinéma. C’étaient des amis personnels de Clive, donc ça coulait de source pour lui. Lors de l’entretien, Tony leur a demandé : « Savez-vous comment synchroniser votre musique avec l’image, afin que les moments les plus importants soient directement soutenus par le score ? ». « Non, nous n’avons jamais fait ça auparavant. Nous pensions juste écrire plusieurs morceaux d’atmosphère et les donner à Clive pour qu’il les découpe comme bon lui semble. » Tony a fait comprendre à Clive qu’il avait besoin d’un compositeur spécialisé dans le cinéma de genre. Il fallait absolument que la musique commente le film. Aujourd’hui, dans la plupart des séries B d’horreur, la musique est une sorte de tapis électronique, mais on ne faisait pas ça comme ça à l’époque. Le score devait s’ajuster pour mettre en valeur les moments les plus forts. Tony m’a donc recommandé à Clive. Je venais de finir la BO de La Revanche de Freddy, or il ne voulait certainement pas ce genre de score pour son film ! Et il avait raison : Hellraiser est un film d’horreur remarquable car par essence, ça reste une histoire d’amour, aussi tordue et malade soit-elle. Ça parle d’une femme qui ferait n’importe quoi pour gagner l’amour d’un homme abusif. C’est tragique ! Il était crucial que la musique mette tout ça en exergue, et qu’elle ne se contente pas de faire peur au spectateur. Il devait y avoir une résonance émotionnelle derrière l’horreur. Clive a accepté de suivre le conseil de Tony et il m’a donné ma chance.
Le thème principal de Hellraiser est empreint de mystère. On dirait presque un secret ; c’est comme si l’auditeur écoutait ce qui se passe de l’autre côté d’un mur.
C’était mon intention de départ. Si j’ai accompli ça de façon aussi évidente, je suis un homme comblé. Voilà l’une des choses formidables que la musique peut et devrait faire dans un film d’horreur. J’aime que le score se positionne derrière l’écran, attrape le spectateur par la main et lui dise : « Je veux que tu te joignes à nous, que tu nous accompagnes dans ce voyage à travers cet endroit sombre et mystérieux. ». Cet univers fantastique est en théorie inaccessible, il est dans l’ombre, dans les recoins, dans votre dos… C’est un monde invisible. J’ai toujours été attiré par ça, même quand j’étais enfant. J’étais fasciné par le ciel noir de la nuit, par l’obscurité totale dont l’énergie était indiscutable, mais invisible. Hellraiser a été le premier film à me permettre d’assouvir mon désir d’illuminer ce monde mystérieux. J’ai composé ce score en me mettant dans la peau d’un badaud qui passe à côté de la tente d’un freak show et en tire doucement le rideau pour voir ce qui se passe derrière. Dans ce cas-là, on sait qu’on ne devrait pas regarder, mais une curiosité morbide nous force à faire un pas. Le bon sens disparaît, donc vous ne partez pas [...]
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