Carrière Boaz Yakin
Avant de démarrer cette interview, vous nous avez expliqué avoir étudié dans une école orthodoxe très raciste.
Je crois vraiment que toute organisation religieuse tend vers le racisme...
C’est ce qui vous a donné envie de faire L’Internat ?
Tout ce que vous créez est forcément inspiré de votre background, de votre expérience. Mais oui, avoir grandi dans ce type d’environnement a contribué à cette histoire (voir encadré – NDLR). Le principal de mon école a clairement influencé le personnage du Dr Sherman, pour être honnête. Cette idée d’une figure autoritaire qui aime faire peur aux enfants, ça vient vraiment de ce rabbin.
Au-delà de l’intrigue principale, L’Internat est axé autour de deux lignes narratives : d’une part, la quête d’identité sexuelle du jeune héros, d’autre part l’héritage de l’horreur qu’a vécue sa grand-mère.
C’est vraiment le sujet du film. Des gens m’ont demandé si ces données étaient vraiment indispensables, mais c’est littéralement le film. L’Internat parle d’un processus d’acceptation de choses dont on pourrait avoir honte. Et c’est en acceptant cela qu’on devient plus fort. Il a honte, sans le savoir, de son identité juive, car sa mère l’est elle-même. Et aussi, il refuse d’embrasser sa part féminine. Il y a un rejet, une frustration, une honte. C’est une manière différente d’aborder la « trajectoire du héros ». Dans une trajectoire classique, le garçon doit embrasser sa part de masculinité et brandir l’épée de son père. L’épée est le symbole phallique du héros. Que ce soit Arthur ou Luke Skywalker, tous doivent découvrir cette épée. L’Internat, c’est l’histoire d’un garçon qui découvre la robe de sa grand-mère, et réalise qu’en assumant sa féminité, il sera plus fort. Ça pourrait sembler périphérique dans le contexte d’un film d’horreur, mais c’est l’essence de l’oeuvre. Sans cela, Jacob n’a aucune raison de passer par toutes ces épreuves. C’était mon questionnement de départ : comment raconter l’histoire d’un personnage qui essaie de comprendre sa propre ethnicité et sa propre sexualité, durant l’enfance. L’école, l’horreur et le Dr Sherman ne sont qu’une façade pour ces thématiques profondes.
La plupart des critiques parues aux États-Unis dénoncent ces thématiques soi-disant secondaires. Difficile de comprendre pourquoi…
Si quelqu’un n’aime pas votre film, il ne faut pas dire qu’ils ont tort. Mais je crois qu’aux États-Unis, tout doit rentrer dans une case bien précise. Il faut catégoriser, et L’Internat a été pris uniquement comme un film d’horreur. Pour moi, le long-métrage est très inspiré de La Nuit du chasseur, Les Yeux sans visage, et plus particulièrement par l’oeuvre de Pedro Almodóvar. Il y a quinze ans, il a réalisé La Mauvaise éducation, que j’aime énormément. J’admire également Le Locataire de Polanski, et je voulais faire ce type de film. C’est de l’épouvante, en quelque sorte, mais c’est aussi un conte. On verse rarement dans ce registre aux États-Unis aujourd’hui, et il est difficile de vendre chez nous un film qui se veut « dans la tradition de Pedro Almodóvar ». Je ne dis pas que je suis à son niveau, mais les préjugés sont terribles de ce côté de l’Atlantique. La situation est devenue étrange. On voit des films très médiocres recevoir des critiques dithyrambiques juste parce que leurs ambitions sont au ras des pâquerettes et qu’ils atteignent leur but sans trop d’efforts. Dans la plupart des blockbusters, oui, l’action est divertissante et les dialogues amusants, le casting est sympa… C’est presque impossible de rater le film. Il y a tant de gens talentueux derrière ces productions, des gens qui savent écrire de bonnes blagues, des gens qui savent filmer l’action ou créer de beaux effets visuels… Comment se planter complètement avec des équipes pareilles ? Je suis sûr qu’on peut passer deux heures très sympas devant Aquaman, je prends du plaisir devant Doctor Strange, c’est cool, mais l’ambition est vraiment, vraiment basse. Quand ils se sont plantés sur Justice League, c’était presque un crime, car tous les blockbusters autour d’eux s’en sortaient plutôt bien. À chaque fois que je vois un réalisateur ou un scénariste tenter quelque chose de différent, avec des ambitions plus grandes, j’ai envie de le suivre. Même si le ton n’est pas parfait, même si des choses paraissent too much… On a tendance à moins défendre ce type de démarche.
Le ton de L’Internat est très intéressant : durant la première scène de cours, on passe d’un humour de situation totalement assumé à une explosion de violence assez glaçante. Le gamin atteint du syndrome de la Tourette symbolise cela : il est à la fois ridicule et tragique.
Et il faut aussi préciser que dans le contexte actuel, L’Internat est probablement le film américain le plus sexualisé à mettre en scène des gosses de douze ans. Et c’est vécu de leur point de vue. J’aime parler des choses difficiles. Je préfère regarder un film de Gaspar Noé ou de Lars von Trier que la plupart des films américains d’aujourd’hui. Je n’ai pas aimé la première moitié de Nymphomaniac, mais l’autre moitié est vraiment extraordinaire. J’aime bien, après avoir vu un film, ne pas totalement savoir ce que j’en ai pensé. C’est passionnant d’avoir des sentiments contradictoires en simultané, du genre : « Ce type est incroyable » et « Ce type est le plus grand connard de l’univers ». C’est plus vivifiant, en tout cas, que de regarder quelque chose qui me fait le même effet qu’un match de basketball. J’adore ça, mais ça n’a pas beaucoup de sens.
Vos films actuels sont pour la plupart indépendants.
Oui, L’Internat a par exemple été tourné avec très peu d’argent. Au départ, je voulais commencer le film de façon très naturaliste, avec une lumière un peu crue, et une fois dans l’école, je voulais que les couleurs soient de plus en plus saturées. J’imaginais un hommage direct à Mario Bava. Mais avec ce budget, c’était difficile. Quand j’ai découvert la maison dans laquelle on a pu tourner, je n’en croyais pas mes yeux. C’était au milieu de New York, et ce que vous voyez à l’écran est presque exactement ce qu’il y avait sur place. On a donc pu tourner comme je le voulais ! Je suis de ceux qui étaient contre les caméras numériques au début. Évidemment, la pellicule aura toujours un meilleur rendu, mais grâce au digital, on peut quand même obtenir de très bons résultats pour des coûts minimes. Ça ne ressemblera jamais à un film de Terrence Malick, mais quand même. Je viens de tourner un nouveau film avec un budget encore plus réduit que celui de L’Internat, et il m’aurait coûté au moins cinq millions si j’avais choisi de le tourner en pellicule.
Revenons à vos débuts. Vous avez écrit Punisher, réalisé par Mark Goldblatt.
Oui, quand j’étais gosse. Je devais avoir à peine plus de 20 ans. J’ai vendu deux ou trois scénarios à Hollywood vers l’âge de 19 ans. J’ai donc décidé de quitter New York pour m’installer à Los Angeles. J’adorais les comic-books à l’époque, et le genre était loin d’être populaire. C’était même quelque chose que les studios ne voulaient surtout pas faire ! Le tout premier scénario que j’ai écrit était plus ou moins basé sur Le Punisher, mais j’ai changé les personnages et j’en ai fait un film d’action plus classique. Le projet n’a finalement jamais abouti. Je ne sais pas comment c’est arrivé, mais je me suis retrouvé un jour à pitcher une adaptation du Punisher chez New Line Cinema. J’avais environ 22 ans, et ils m’ont embauché. J’ai écrit le script, et ils ont décidé de changer certains détails pour que ça ressemble moins à un comic-book. Ils ont modifié le costume par exemple. À l’époque, je n’en revenais pas. Je leur ai dit : « Vous êtes malades ? C’est le coeur même du film ! ». Ils m’ont répondu : « C’est trop bédé. ». C’est vous dire à quel point l’industrie a changé depuis. Ils avaient peur d’être trop bédé ! Juste après, le Batman de Tim Burton est sorti et a rencontré un succès sans précédent. Tout ça est arrivé il y a si longtemps, j’ai l’impression que c’était dans une autre vie. J’ai quitté Hollywood pendant un temps après avoir écrit Punisher, et je me suis installé à Paris. Ironiquement, le film n’est jamais sorti en salles aux États-Unis. La seule fois où je l’ai vu sur grand écran, c&r [...]
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