Carrière Bernard Rose

Lors de la dernière édition du BIFFF, l’auteur de CANDYMAN faisait son retour avec une version détonante de FRANKENSTEIN. Une bonne occasion pour parler de Mary Shelley, de Clive Barker… et de Léon Tolstoï !

Vous avez débuté aux côtés de Jim Henson. Qu’avez-vous retiré de cet apprentissage ?

Cela a effectivement été mon premier job, que j’ai décroché après une série de détours. Je suis d’abord parti à Los Angeles, afin de recevoir un prix pour des films amateurs que j’avais faits, et grâce à cela, je suis entré en contact avec un directeur de production au studio d’Elstree en Angleterre. À ce moment, on recrutait des équipes pour deux longs-métrages, Dark Crystal et Les Aventuriers de l’Arche perdue. Or, mes parents habitaient près de Hampstead, où se trouvait l’atelier de Jim, qui y préparait aussi la dernière saison du Muppet Show. Le gars m’a donc dit d’aller travailler là-bas, et j’ai répondu : « Sérieux ? Le Muppet Show ? ». J’aurais voulu bosser avec Spielberg, mais avec le recul, je me dis que ce que Jim faisait était beaucoup plus cool. Pendant plus d’un an avant le tournage de Dark Crystal, son équipe a développé des marionnettes avec des techniques totalement neuves, en termes d’animation des mains, de clignement d’yeux, etc. En outre, une des nombreuses choses que j’ai apprises de Jim, c’est qu’il n’a jamais cru faire des choses pour les enfants – d’ailleurs, le Muppet Show passait en soirée. Il s’intéressait seulement à ce qu’il aimait, et si vous regardez bien son travail, vous verrez qu’il n’y a jamais rien de condescendant. À mon avis, c’est la raison pour laquelle il résiste si bien au temps.

De la même manière, votre film Paperhouse montre les rêves d’une petite fille, mais pour la mettre en face de la réalité de la mort…

Oui, c’est un sujet très sérieux : la tragédie de la perte de l’innocence, en passant à l’âge adulte à travers le chagrin. C’est intéressant car Le Labyrinthe de Pan m’a pris beaucoup de choses, mais en élevant l’histoire réelle à un niveau très mélodramatique, pour parler de la Guerre civile espagnole. Ainsi, la fillette est physiquement en danger. Dans Paperhouse, au contraire, l’histoire réelle est très quotidienne. En dehors des scènes où la petite héroïne est dans son monde imaginaire, il ne se passe quasiment rien, et vous pouvez alors ressentir sa tristesse. Du coup, personne ne voulait produire ce film au départ, car ils pensaient que ce n’était absolument pas commercial. Et devinez quoi ? Ils avaient raison. Or, un de mes plus chers amis, Dan Ireland, était à l’époque « exécutif » chez la compagnie vidéo américaine Vestron. Cette dernière a donc payé pour Paperhouse, car dans les années 80, vous pouviez financer entièrement un film avec les ventes de cassettes. Mais les gens de Vestron ont été consternés par le résultat. Ils disaient que c’était trop effrayant pour les enfants, et que les ados n’iraient pas le voir parce que ça parlait de gamins.

En plus, votre jeune actrice avait un physique androgyne très particulier. Cela a été dur de la trouver ?

Très dur. Je voulais être sûr de ne pas être en train de faire un remake de Lolita, de ne pas avoir de connotation sexuelle attachée à elle. Car quand vous montrez une fille au seuil de la puberté, ça devient vite un élément, et ce n’était pas du tout le propos du film. Bien des années plus tard, l’actrice m’a téléphoné. Elle était devenue avocate, avait elle-même des enfants, et elle m’a dit qu’elle venait de voir Paperhouse, qu’elle l’avait aimé et en était très fière. Mais à l’époque, elle n’avait pas aimé le faire, et elle n’a d’ailleurs plus jamais joué dans un film ensuite. Il faut dire que toute la pression reposait sur elle, car elle était dans toutes les scènes et devait se tenir prête tous les matins. De plus, elle a fini par avoir peur de venir sur le plateau, quand nous avons abordé la seconde moitié de l’histoire, où les rêves se font plus sombres. Par exemple, quand le personnage du père entre par la fenêtre, je ne l’avais pas prévenue. En fait, elle était véritablement effrayée, mais c’est bien sûr pourquoi elle sonne si juste. (rires)

Les décors du monde imaginaire sont effectivement impressionnants. Vous vous étiez inspiré de peintures naïves ?

Je me souviens que quand j’ai auditionné les enfants, je leur ai demandé de dessiner une maison, et ils ont tous ébauché la même, carrée avec quatre fenêtres. Ce n’est pourtant pas l’endroit où vivent la plupart des gens, mais ils avaient cette image mentale. Je pense que c’est parce que la maison est une sorte de visualisation du corps humain. Dans le film, le grenier est un peu comme le cerveau de l’héroïne, la cave où elle se cache est l’utérus, et l’escalier l’épine dorsale. Cependant, beaucoup de ces idées ne sont pas les miennes, mais celles de l’auteur du roman original, Catherine Storr, qui n’est plus parmi nous. Elle était psychologue pour enfants, et je pense que son livre était nourri de son expérience. Je l’avais beaucoup aimé, et j’avais demandé à mon ami Matthew Jacobs d’en tirer un scénario complet, d’après un premier traitement que j’avais écrit. Au départ, Anne Tilby, ma compagne de l’époque qui était décoratrice, m’avait fait lire ce livre, qui l’intéressait bien sûr en termes de design. Car c’était évidemment bien avant les CGI. Aujourd’hui, vous ne construiriez rien, tout serait sur fond vert. Mais sur Paperhouse, tout est concret, et je crois que cela se ressent. Même le paysage de lande plate était un énorme décor, qui produisait une forte atmosphère quand on se baladait dedans. Si nous avons été en mesure de faire cela, c’est que l’époque était très creuse pour le cinéma britannique. Du coup, il ne se passait rien aux studios de Pinewood, si bien qu’ils étaient tout contents de nous donner leur plus grand plateau. Maintenant, ils demanderaient des millions pour nous [...]

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