Carlo Lizzani : à l’épreuve du réel
Ressortis depuis peu chez Les Films du camélia, trois films (La Chronique des pauvres amants, Storie di vita e malavita et San Babila : un crime inutile) dessinent le portrait de Carlo Lizzani, réalisateur franc-tireur qui a démontré que le grand cinéma néo-réaliste italien n’était pas incompatible avec les genres les plus mal famés.
Une salve de trois ressorties en salles remet donc en lumière Carlo Lizzani (1922-2013), un cinéaste quelque peu oublié de ce côté-ci des Alpes. Non pas que sa carrière ait été secrète : au contraire, le bougre a été très prolifique, tout en trouvant même le temps d’être le directeur du Festival de Venise de 1979 à 1982.
Seulement, son éclectisme a rendu son parcours difficilement identifiable. Bien que très orienté à gauche, notre réalisateur a fait feu de tout bois, alternant entre purs ouvrages d’auteur, productions de prestige, commandes commerciales et travaux sacrifiant aux genres. Par exemple, à l’instar de son collègue Damiano Damiani (cinéaste assez similaire, qui a dégainé les colts avec le génial El Chuncho), il a tourné en 1966-67 deux westerns italiens : Du sang dans la montagne/Un fiume di dollari (signé du pseudo anglo-saxon Lee W. Beaver !) et l’excellent Requiescant/Tue et fais ta prière où Pier Paolo Pasolini tenait le rôle d’un prêtre révolutionnaire.
QU’EST-CE QUE LE RÉALISME ?
Pour autant, l’œuvre possède une réelle cohérence interne, dont on trouvera les racines dans les débuts de l’auteur. Le jeune Carlo est au départ critique de cinéma, tout en officiant comme assistant (et acteur occasionnel) auprès de réalisateurs comme Roberto Rossellini (Allemagne année zéro), Giuseppe De Santis (Chasse tragique, Riz amer) ou Aldo Vergano.
C’est donc le moment de ce qu’on a appelé le cinéma néo-réaliste italien, mouvement informel qui est souvent réduit à un principe technique : dotés de moyens de tournage légers, les auteurs plongent leurs caméras dans les bas-fonds d’une péninsule détruite par la Seconde Guerre mondiale pour montrer d’humbles citoyens parfois incarnés par des acteurs non professionnels.
Cependant, l’école a aussi son esthétique particulière, reposant sur une alternance de moments forts et de moments faibles dont la juxtaposition exprime l’intériorité des personnages sans recours à la psychologie classique.
Passé réalisateur, Lizzani va s’approprier ces acquis tout en les développant. Car cet infatigable travailleur n’a jamais cessé d’écrire des bouquins sur l’Histoire du cinéma italien, et il aimait ainsi donner une définition extensive du néo-réalisme, tenant en trois points. Le premier est l’importance du récit « choral » abandonnant l’identification aux personnages principaux au profit d’une multiplicité de figures – caractéristique qu’il repérait dans les plus grands films transalpins et qu’il reprendra dans les siens.
Ensuite, le mouvement ne s’inscrirait pas contre les genres, mais s’attacherait plutôt à les hybrider. De fait, Les Amants diaboliques/Ossessione de Luchino Visconti, le premier long-métrage à être qualifié de néo-réaliste, était une adaptation pirate du roman noir américain Le Facteur sonne toujours deux fois, et Rome, ville ouvertede Rossellini, l’œuvre-phare du corpus, était si l’on veut un film de guerre.
Le fascisme dans les rues dans La Chronique des pauvres amants.
Enfin, selon Lizzani, tous ces traits pouvaient être appliqués à des contextes très divers, y compris les reconstitutions historiques, comme le même Visconti l’avait montré en s’attaquant aux ors du XIXe siècle avec Senso. Quoi qu’il en soit, ces trois axes sont comme une profession de foi pour la carrière du réalisateur, à laquelle s’ajoutent ses penchants personnels : intérêt pour les faits divers lourds de sens, goût pour les adaptations de grands romans (Lizzani était un homme de grande culture), récurrence d’histoires situées pendant le régime fasciste et la Seconde Guerre mondiale.
La première synthèse aboutie de cette démarche intervient dès son troisième long-métrage, La Chronique des pauvres amants (Cronache di poveri amanti, 1954). Pourtant, il ne s’agit pas d’un projet personnel. C’est Luchino Visconti qui avait prévu d’adapter le fameux roman de Vasco Pratolini, publié à la Libération, mais écrit bien avant, et qui brassait une foule de protagonistes habitant une ruelle populaire de la Florence de 1925.
Toutefois, le film ambitionné est une [...]
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