Cannes 2019 : le bilan

Le rituel est tenace : comme chaque année, nous revenons de Cannes avec, dans nos valises, une vue d’ensemble d’à peu près tout ce que le festival comptait de « maderies ». Et cette 72e édition était particulièrement fournie en la matière, entre les cadors encartés (Tarantino, Noé, Miike, Refn), les révélations inattendues et les pétards mouillés…
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RED 11 
DE ROBERT RODRIGUEZ. USA. QUINZAINE DES RÉALISATEURS. 
Déjà présent à Cannes en 1992 pour El Mariachi, Robert Rodriguez était de retour sur la Croisette pour y présenter Red 11, un thriller horrifique conçu comme un tutoriel grandeur nature à destination des apprentis cinéastes. Logique que l’homme au chapeau ait tenu à diffuser en guise de hors-d’oeuvre une vingtaine de minutes d’images de tournage, pour montrer au public comment il est parvenu à tourner ce long-métrage au budget riquiqui de 7000 dollars. Un défi que le Texan a relevé avec l’aide de deux de ses enfants (l’un se chargeant du script, l’autre de la prise de son) et une bonne dose de système D, philosophie qu’il n’a eu de cesse d’appliquer au fil de sa carrière d’indépendant. Et si le résultat s’avère, comme souvent avec Rodriguez, assez inégal (étalonnage verdâtre, scénario brouillon), ce huis clos autobiographique (le cinéaste a ouvertement puisé dans sa propre expérience de cobaye pour laboratoires pharmaceutiques) mérite le coup d’oeil grâce à une galerie de personnages attachants et un rythme suffisamment alerte pour se faire pardonner ses évidentes carences techniques. Autant dire qu’il nous tarde de découvrir l’intégralité du long making of que le metteur en scène souhaite produire pour les besoins de l’exploitation de Red 11 en streaming.

J-B.H.




ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD DE QUENTIN TARANTINO. USA. EN COMPÉTITION 
Avec plus d’une demi-filmographie exposée sous les feux cannois, Quentin Tarantino peut se targuer d’avoir son rond de serviette au Palais. Son neuvième long-métrage n’a en revanche suscité qu’un intérêt très mitigé durant la Compétition.
Il a joué la montre, livré un montage – semble-t-il pas tout à fait définitif – au cul du camion et pensait peut-être s’assurer un second sacre, 25 ans après le braquage commis par Pulp Fiction. Arrivé à Cannes avec des espoirs de reconquête plein la tête, et une escouade glam’ de comédiens apte à dominer le tapis rouge façon grand débarquement, Quentin Tarantino est finalement reparti du festival avec la gueule de bois et une médaille en chocolat (la Palme Dog, OK…). La faute à qui ? Évitons les théories fumeuses, et restons-en au film : génial, peut-être son plus beau, mélancolique, personnel, bref, son plus « plein » et… résigné. C’est d’ailleurs sûrement pour ce dernier aspect que Once Upon a Time… in Hollywood a majoritairement déplu aux festivaliers : c’est un film qui va contre son époque, affirme une rupture stylistique – voire philosophique – avec la pensée pop dominante, non dans une logique réactionnaire mais plutôt de résistance. Quentin Tarantino veut encore faire du cinéma, rien que du cinéma, et son long-métrage ne dit, en définitive, que ça. Alors oui, on connaît la chanson, puisque le réalisateur nous la fredonne à peu près à chaque nouvelle livraison et avec le talent qu’on sait. Sauf que cette fois, la variation frappe droit au coeur : sa mélodie n’a jamais semblé si terminale, sonné si funèbre. Il n’y a plus, aujourd’hui, de Rick Dalton (personnage incarné par Leonardo DiCaprio) à Hollywood. Pas plus que de Cliff Booth (Brad Pitt, le vrai trésor du film), de Sharon Tate (Margot Robbie) ou de Marvin Schwarzs (Al Pacino). Plus de celluloïd (ou presque), plus d’ouvreuses à l’entrée des salles et, surtout, plus de contre-culture. Sur la foi de ce constat, on pourrait facilement intenter à QT un procès pour culte permanent de la nostalgie. Or, aussi obsédé soit-il par les détails de sa (superbe) reconstitution, le cinéaste ne s’enferme jamais dans la carte postale rétro-maniaque, mais cherche à évoquer à travers les allers-retours constants de ses protagonistes (entre leur domicile et les studios, entre la télé et le cinéma, entre Hollywood et Cinecittà, entre l’échec et la réussite…) cette ébullition historique dont il a été lui-même le spectateur naïf (Tarantino avait 6 ans en 1969, date à laquelle se passe Once Upon a Time… in Hollywood). « En vrai, ça ne raconte pas grand-chose » a-t-on pu entendre en sortant de la salle de projection. C’est absolument l’inverse : le film raconte tout d’une époque, d’un esprit et de ce qu’il en reste, c’est-à-dire presque rien. Le plus triste dans cette affaire n’est pas l’accueil timoré du film par la critique cannoise – en vrai, on s’en fout. Non, le plus triste, c’est qu’on se demande encore ce que pourra raconter Quentin Tarantino après Once Upon a Time… in Hollywood. Mais ça, finalement, c’est presque un compliment.

F.F.




ATLANTIQUE DE MATI DIOP. FRANCE/SÉNÉGAL/BELGIQUE. GRAND PRIX DU JURY.
La description des aspirations d’une jeune Sénégalaise est plutôt bien sentie, le tiraillement entre tradition et modernité sachant éviter les clichés. Mais cet aspect est davantage dilué que soutenu par la dimension fantastique du film, à propos de laquelle nous sommes plus partagés. D’un côté, les fièvres inexpliquées touchant les personnages constituent un enjeu assez intrigant. De l’autre, la métaphore « fantômes zombiesques = travailleurs exploités qui reviennent régler leurs comptes » n’est pas d’une grande légèreté, pas plus que les plans trop répétés sur l’océan – c’est un premier long-métrage, avec les scories qui vont avec. Bref, à vouloir jouer sur plusieurs tableaux à la fois, cet Atlantique (qui sort en salles le 2 octobre) ne gagne vraiment sur aucun. L’obtention du Grand Prix du Jury (deuxième récompense par ordre d’importance, juste après la Palme d’Or) paraît donc un brin disproportionnée, même si elle a le mérite de saluer une tentative singulière.

G.E.




VIVARIUM DE LORCAN FINNEGAN. USA. SEMAINE DE LA CRITIQUE.
À la recherche de son premier logement, un jeune couple visite une zone pavillonnaire flambant neuve et totalement inoccupée… et se retrouve prisonnier du lotissement pendant des années ! Le sujet était rigolo, mais en somme, les auteurs n’ont pas eu confiance en leur concept. Au lieu de livrer une mise en scène stylisée, Vivarium multiplie les plans sur fond vert d’une laideur assez redoutable. En outre, la satire des banlieues proprettes suscite un humour ricanant au plus mauvais sens du terme, très désagréable. À notre avis, le pire film fantastique du festival, toutes sections confondues.

G.E.




LITTLE JOE DE JESSICA HAUSNER. AUTRICHE/ALLEMAGNE/G-B. PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE.
Une chercheuse travaillant sur une fleur OGM aux effets thérapeutiques refuse pendant longtemps, pour complaire à ses patrons, d’admettre que la plante altère la personnalité des humains… Le suspense botanique est original, mais le résultat ressemble furieusement à un pauvre téléfilm des années 70 sur les dangers de la science, sans même en avoir la sécheresse de style involontaire. Confondant l’austérité clinique avec la simple platitude, ce Little Joe est vraiment une bonne purge, et le Prix d’Interprétation Féminine laisse interloqué, le jeu d’Emily Beecham étant aussi aseptisé que le reste. En salles le 27 novembre, si le coeur vous en dit quand même.

G.E.




WOUNDS DE BABAK ANVARI. G-B. QUINZAIN [...]

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