Cannes 2017

Pour une fois, il était difficile de contredire les disques rayés de la profession qui hurlaient à la médiocrité de la sélection. Mais, plutôt que de pinailler sur la morosité de cette 70e édition, nous vous convions à un épluchage détaillé des productions genrées projetées dans toutes les salles cannoises.

HOW TO TALK TO GIRLS AT PARTIES DE JOHN CAMERON MITCHELL – G-B./USA - HORS-COMPÉTITION
En pleine vague punk, des ados cherchent à s’incruster dans une fête pour trouver des filles… et tombent sur une soirée remplie de babas-cools ! Sauf que ces derniers sont en fait des extraterrestres en goguette, dont l’une a la bonne idée d’avoir la plastique d’Elle Fanning et de vouloir découvrir les joies de la condition humaine, en étant guidée par nos boutonneux en perfecto. Bon, on ne sait pas trop quelle mouche a piqué le Festival de Cannes pour qu’il balance dans le grand amphithéâtre Lumière ce feel-good movie inoffensif et sucré. Mais même si la fantaisie est ici bien laborieuse (oh ! Nicole Kidman en grande prêtresse de l’art keupon…), nous n’avons pas envie d’être trop méchants. En effet, bien qu’adapté d’une nouvelle de Neil Gaiman déjà mise en cases par Moon & Bá, ce How to Talk to Girls at Parties est sans doute le film qui se rapproche le plus d’une bonne vieille BD de Margerin !

G.E.



BRIGSBY BEAR DE DAVE MCCARY – USA - SEMAINE DE LA CRITIQUE
Kidnappé à la maternité, un type est séquestré pendant 25 ans par un couple de dingos, son seul lien avec l’extérieur étant une série télé dont il est l’unique spectateur. Les épisodes sont en effet réalisés par son faux père, ironiquement interprété par Mark « Luke Skywalker » Hamill. Une fois libéré et remis à sa famille biologique, le grand enfant n’aura de cesse de tourner à son tour la conclusion de cette espèce de space opera enfantin dont le héros est un ours appelé Brigsby Bear… On l’aura compris, le premier long-métrage de McCary est moins un film pour geeks qu’un film SUR les geeks, ou plutôt sur un über-geek qui a besoin de passer par les voies de l’imaginaire pour exorciser un traumatisme. Le résultat est souvent drôle et plaisant, mais il est tellement dépourvu de conflits et de failles qu’il faudra vraiment adorer les trucs gentillets et mignons pour y trouver son compte.

G.E.



MISE À MORT DU CERF SACRÉ DE YORGOS LANTHIMOS – G-B./IRLANDE – COMPÉTITION OFFICIELLE – PRIX DU SCÉNARIO
Un chirurgien (Colin Farrell) prend sous son aile un ado (Barry Keoghan, à baffer) dont le père est mort des années plus tôt sur sa table d’opération. On se doute très vite que quelque chose d’affreux va se produire puisque Yorgos annonce à peu près toutes les dix secondes un virage horrifique, abusant d’effets dzimboumbants travelling-musique/musique-travelling redoutablement soûlants. Et effectivement, l’ado veut se venger façon tragédie grecque, obligeant le père de famille à choisir qui doit mourir entre son épouse et ses deux enfants. Remarqué pour ses très buñueliens Canine et The Lobster, notre ami se prend désormais pour le Kubrick de Shining et Eyes Wide Shut – les deux oeuvres étant ouvertement citées dans la composition des plans –, mais aussi et surtout pour le Haneke de Funny Games en déroulant dans le dernier tiers toutes les conventions du si charmant film « achtung-achtung ». Seulement, ce cinéma de démiurge tout-puissant qui répand sa misanthropie à travers des effets de culture arrive vraiment à expiration en 2017. Next !

R.LV.



IL EST MINUIT, CORÉENS !

Deux thrillers coréens en Séance de Minuit, oui, mais ils étaient de qualité pour le moins inégale. Et hélas, le mouton noir du tandem était aussi le film le plus mad. Car chez nous, on aime bien les histoires où des organisations criminelles récupèrent des enfants en bas âge pour les dresser à devenir d’implacables machines à tuer quand ils seront adultes. Mais nous avons déchanté dès l’ouverture de The Villainess de Jung Byung-gil, consistant en dix minutes hideuses de baston en caméra subjective qui feraient passer Hardcore Henry pour de la musique de chambre. Par la suite, les services secrets coréens, dont le film préféré semble être Nikita, donnent une nouvelle identité à l’héroïne, histoire de l’avoir sous la main quand ils auront besoin qu’elle dégomme quelqu’un. Sauf que la belle voit bientôt resurgir des secrets issus de son passé et dont le spectateur a du mal à suivre le fil, la narration étant aussi brouillonne que la mise en scène. « Mon dieu, quelle souffrance ce salmigondis » me textait d’ailleurs le Fasulo à plus de 3 heures du matin, le machin durant quand même 143 minutes. Quelques jours plus tard, infiltrations et trahisons étaient à nouveau au menu du polar Sans pitié (aka The Merciless) de Byun Sung-hyun, mais là, tout s’améliorait, grâce à une construction ludique naviguant entre deux lignes temporelles : un mafieux emprisonné se lie peu à peu avec un jeune détenu qui rue dans les brancards ; trois ans après, l’aîné coopte son cadet pour rentrer dans le gang, dont le boss s’apprête justement à blouser ses lieutenants… L’exercice scénaristique est brillant, mais il y a plus. À l’inverse de tant de films coréens mêlant arbitrairement violence et mièvrerie (tu es mon pote, je te torture la seconde d’après), les brusques raccords entre séquences constituent autant de coups de théâtre rebattant les cartes des rapports entre les personnages, aboutissant ainsi à une subtile fluctuation des sentiments que se vouent les amis-ennemis. Vous pouvez donc filer au cinéma le plus proche, Sans pitié étant actuellement dans les salles françaises.

G.E.



BUSHWICK
DE CARY MURNION & JONATHAN MILOTT – USA – QUINZAINE DES RÉALISATEURS
Un couple discute tranquillement en sortant d’une rame de métro… et entend soudain un vacarme d’armes lourdes. Monté à la surface pour voir ce qu’il s’y passe, l’homme en revient carbonisé par une explosion, puis la femme découvre un New York apparemment livré à la guerre de tous contre tous. S’accrochant ensuite aux basques d’un ex-militaire devenu concierge d’immeuble, elle va reconstituer peu à peu (et nous avec elle) le puzzle d’une réalité étonnante. Carbien que le scénario joue habilement avec ces suppositions, il ne s’agit pas d’une histoire (post-)apocalyptique, nid’un virus rendant la population ivre de violence. Même l’hypothèse d’une méga-émeute urbaine fait long feu, quandon s’aperçoit que les militaires en tenue sont au moinsaussi enragés que les civils armés. Car le film ressusciteune branche oubliée de la science-fiction et de l’anticipation à très court terme, que les jeunes appelleront sûrement « dystopie » mais qu’on dénommait naguère politique-fiction. Il le fait en extrapolant l’état actuel de la société américaine et ses dynamiques contradictoires, et il le fait avec beaucoup d’intelligence et d’honnêteté.En effet, même si le spectateur (européen, du moins) est peu ou prou amené à prendre parti pour un des camps, le récit ne jette aucun voile pudique sur les dangers potentiels : justice expéditive, dérives factieuses, ordre mafieux comblant le vide laissé par le retrait du gouvernement. Tous ces éléments s’intègrent harmonieusement dans ce qui donne l’impression d’être un unique plan-séquence. Bien sûr, ce dernier est perclus de trucages invisibles, mais le plus important est que les auteurs ont adopté la méthode que Cuarón semble avoir utilisée sur Gravity. C’est-à-dire poser un système sans s’interdire de le malmener, en coupant là où la dramaturgie l’exige. Ici, le premier raccord visible – dévoilant, à la faveur d’un changement d’axe, le visage du concierge vétéran joué par Dave Bautista – est au moins aussi impressionnant que tel mouvement de grue rappelant un plan célèbre de Je suis Cuba. Bref, si on appelle « claque » une oeuvre fracassante sortie de nulle part (en l’occurrence, du site de VOD Netflix, qui la mettra sur sa plateforme française vers la fin de l’année), alors Bushwick était bel et bien la grosse baffe du Festival de Cannes 2017.

G.E.



OKJA
DE BONG JOON HO – CORÉE DU SUD/USA – COMPÉTITION OFFICIELLE
Voici donc l’objet du délit, le premier long-métrage produit par la plateforme VOD Netflix (qui l’a balancé dans ses tuyaux mondiaux ce 28 juin) à être sélectionné par le Festival de Cannes, lequel a ensuite fait savoir que dorénavant, les candidats à la Palme d’Or devraient obligatoirement sortir en salles en France. Mais si vous voulez bien passer des pages éco au cahier critique, qu’est-ce que cela vaut ? Réponses au choix : c’est bon puisque c’est du Bong Joon Ho. Ou alors : c’est quand même le moins bon film de l’auteur de Memories of Murder (qui ressort en salles le 5 juillet, c’est dit !). L’affaire commence pourtant très bien, avec des séquences bucoliques montrant la complicité entre une craquante gamine coréenne et un énorme sanglier répondant au nom d’Okja. Problème, le bestiau génétiquement modifié est en fait la propriété d’une multinationale américaine, qui veut maintenant le récupérer à l’occasion du lancement d’une gamme de produits carnés discount. C’est donc parti pour une course-poursuite culminant dans une scène d’évasion ébouriffante, où l’on retrouve toute la maestria du cinéaste… et [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte