
CANNES 2016
LE BGG – LE BON GROS GÉANT
DE STEVEN SPIELBERG – USA – HORS COMPÉTITION
Générique final... Exécution ! En quelques secondes à peine, le nouveau film de Steven Spielberg rejoignait la benne à ordures de Cannes, balancé là sans ménagement par des festivaliers ronchons et parfois proactifs dans le dézingage. On aurait aimé les contredire, tempérer leurs manières indélicates et sauver le soldat Spielby des griffes de la vindicte populaire. Il n’en sera malheureusement rien : oui, Le BGG – le Bon Gros Géant est un ratage embarrassant, un spectacle paresseux qui capitalise sur les recettes d’un passé idéalisé sans jamais en retrouver la saveur sucrée, un bouche-trou de filmographie qu’on effacera très vite de nos mémoires. Même les nostalgiques radicaux des années Amblin n’ont pas trouvé de quoi alimenter leur petit culte. Pire, le film ravive la douloureuse blessure artistique « hookesque », cet accident de parcours qui partage d’ailleurs plusieurs chromosomes avec ce Bon Gros Géant bien boiteux. Et, on a eu beau guetter pendant les deux très longues heures (le montage cannois sera d’ailleurs raccourci pour l’exploitation salle) l’instant-clé où tout pourrait basculer dans ce merveilleux si attendu, nulle percée lyrique ou magique purement spielbergienne n’arrive à décanter cette préparation fade dont aucun des ingrédients, même isolés, ne semble fonctionner.
F.F.
THE TRANSFIGURATION
DE MICHAEL O’SHEA – USA – UN CERTAIN REGARD
Quand on lui demande quel est son film de vampire préféré, le héros de The Transfiguration répond Martin, ajoutant très sérieusement que c’est le plus réaliste. En plus d’un ton à l’humour froid et sardonique, voilà donc posée l’influence principale de ce premier long-métrage, qui en reprend l’ambiguïté fondamentale : ce jeune homme est-il un psychotique tellement obsédé par les suceurs de sang qu’il a fini par se convaincre d’en être un, ou bien est-il une véritable créature surnaturelle évoluant dans un environnement terriblement quotidien ? La seule différence avec le chef-d’oeuvre de George Romero, c’est que les banlieues ouvrières de Pittsburgh cèdent ici la place à un coin de ghetto new-yorkais adossé au littoral atlantique. La violence urbaine traditionnelle alterne donc avec les meurtres sordides commis par notre « vampire », tandis que ce dernier, souffre-douleur des gangs du cru, trouve une compagne d’infortune en la personne d’une autre jetée de la vie avec qui il forme un couple à la Laurel & Hardy. Malgré son incroyable physique de gnome black à l’âge indéterminé, il s’éprend en effet d’une des rares Blanches du quartier, une grande perche scarifiée dont les tendances à l’autodestruction ne l’empêchent pas de kiffer les Twilight ! En jonglant entre désespoir, cocasserie tendre et brutalité râpeuse, cette Transfiguration finit ainsi par trouver son propre rythme et à distiller un charme certain, lequel nous ramène d’ailleurs aux sources du mythe. « L’éternité c’est long, surtout vers la fin » : c’est Woody Allen qui l’a dit, mais on avait un peu oublié qu’avant qu’ils ne deviennent les protagonistes d’interminables sagas, c’était aussi le lot des suceurs de sang, ces créatures pathétiques coincées au seuil de l’au-delà. Le dernier acte du film retrouve très naturellement cette thématique, à tel point qu’on a parfois l’impression d’entendre résonner les fameux mots de Bela Lugosi dans le Dracula de Browning : « Être vraiment mort, que cela doit être glorieux. ».
G.E.
MADEMOISELLE
DE PARK CHAN-WOOK – CORÉE DU SUD – EN COMPÉTITION
Attention, film-piège ! Tout d’abord, comme l’unique récompense qu’il a reçue concerne la direction artistique, distinguée par le prestigieux prix de la Commission Supérieure Technique, on pourrait penser à une reconstitution amidonnée de la Corée du temps de l’occupation japonaise. De fait, en voyant la demeure où se déroule l’essentiel de Mademoiselle, incroyable alliage d’architectures nippone et anglaise, on a l’impression que le moindre tiroir recèle de luxueuses soieries. Mais cet espace quasi théâtral ne vaut pas seulement pour lui-même : il sert avant tout d’écrin à d’incessants dispositifs voyeuristes, et aux mouvements de caméra chers à Park Chan-wook. Ensuite, les fans de ce dernier risquent de se diviser fortement. Ceux demeurés fidèles au mélange de barbarie et de sentimentalisme de ses premiers longs-métrages resteront peut-être au pas de la porte, tandis que le résultat satisfera davantage ceux qui l’avaient suivi dans la voie intrigante entamée avec le détour américain de Stoker. Enfin et surtout, il est bien difficile de parler du scénario sans trop en déflorer la structure, qui raconte trois fois successives la même histoire sous un point de vue différent. Voici en tout cas le premier énoncé : un escroc de haut vol (Ha Jung-woo, vu dans The Chaser et The Murderer de Na Hong-jin) veut épouser une riche héritière cloîtrée (Kim Min-hee, découverte dans un tout autre genre via Un jour avec, un jour sans de Hong Sang-soo) pour s’accaparer sa fortune, et place pour cela une fausse bonniche (la nouvelle-venue Kim Tae-ri) dans l’entourage de la belle…
Mademoiselle est ainsi un film délibérément pervers, puisque dans toutes les configurations, deux des trois protagonistes se liguent contre le dernier pour le manipuler et le perdre, et le spectateur avec lui. Mais il l’est aussi par le fait que chaque chapitre présente une nouvelle forme de perversion. Par exemple, la première partie effleure le thème du plaisir dans la servitude, avec une domestique subjuguée par une maîtresse altière. Il suffit cependant d’un renversement de scénario pour qu’on passe de Masoch à Sade, ce que souligne le rôle des lectures érotiques et des tableaux vivants. Et nous ne parlons pas d’une cruauté inoffensive, mais d’un esprit véritablement sadien où la victime n’est pas censée être consentante. Au sein d’une forme rutilante, Park Chan-wook glisse donc une idée très noire : le fait que des personnages, au-delà de l’intérêt matériel qu’ils en tirent, peuvent jouir sexuellement de berner un tiers. Quant à nous, même si nous sommes bien à l’abri dans notre fauteuil, cette Mademoiselle (dont la sortie en salles est fixée au 5 octobre) nous donne ce goût à la fois âcre et sucré qu’on a dans la bouche quand on se laisse volontairement rouler dans la farine.
G.E.
VIEILLES CAGETTES
Certes affaiblis par l’effondrement du marché de la vidéo, les vendeurs continuent de promouvoir le genre fantastique/horrifique au moyen de films généralement mis en avant par des visuels aussi prometteurs que mensongers. Problème : qu’elles viennent des États-Unis (Enclosure, Delusion, Havenhurst, Worry Dolls), du Royaume-Uni (Tank 432), d’Australie (Red Billabong) ou du Chili (Downhill), la plupart des péloches « Mad » projetées lors du Marché du Film 2016 s’avèrent ennuyeuses, prévisibles et interchangeables, leurs créateurs respectifs ne se préoccupant visiblement pas d’apposer un brin de personnalité et/ou d’innovation à des intrigues mille fois vues ailleurs… Bien sûr, certains s’en sortent mieux que d’autres en bénéficiant au moins d’une patine visuelle assez soignée et d’une interprétation correcte (comme l’australien From a House on Willow Street, dans lequel on retrouve Sharni Vinson, l’héroïne de You’re Next), mais force est de reconnaître que la plupart de ces oeuvres s’oublient quelques secondes seulement après leur projection. Ira-t-on jusqu’à dire que ces efforts ne servent qu’à flatter la cinéphilie de metteurs en scène ne parvenant pas à prendre du recul par rapport aux images qu’ils ont ingurgitées depuis des décennies ? La question est posée. Constat similaire du côté de la science-fiction – qui [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement