Cannes 2015 : Mad Movies n°286

Plutôt que de vous faire mariner jusqu’au numéro d’été, nous avons tordu le cou à nos habitudes et vous offrons là, tout de suite, maintenant, le décorticage tant attendu de nos expériences (cinématographiques seulement…) cannoises. Compétition, Sélections parallèles, Marché... tout y passe !

LE TOUT NOUVEAU TESTAMENT de JACO VAN DORMAEL
BELGIQUE/FRANCE/LUXEMBOURG
QUINZAINE DES RÉALISATEURS

Hou la ! Ça va être difficile de parler d’un film tenant entièrement dans son concept de départ, si bien que tout ou presque a déjà été dévoilé dans les articles pré-festival et dans la bande-annonce. Car c’est bien ça, et seulement ça : voulant imiter son frère aîné, la fille de Dieu descend à son tour sur Terre, après avoir semé la zizanie en balançant par texto la date de mort de tout le monde. Elle s’entoure ainsi d’apôtres qui quittent leurs vies de peigne-cul pour accomplir leur moi profond, tandis que son père (Benoît Poelvoorde bloqué en mode irascible) joue de malchance en se lançant à sa poursuite, les gens le traitant comme un clodo qui se prend pour le Tout-Puissant… À part ça, on ne sait pas trop quoi raconter sur une bande qui défie l’analyse traditionnelle. C’est plutôt drôle, ça fait montre d’une hérésie salutaire à l’heure où on nous bassine avec les religions à longueur d’antenne, mais l’absence totale d’identité de la mise en scène fait davantage ressembler le résultat à l’émission spéciale d’un comique télé qu’à un long-métrage de cinéma. Et a fortiori à une oeuvre digne de figurer dans une sélection cannoise.

Gilles Esposito 



THE NEXT GENERATION : PATLABOR 
de MAMORU OSHII
JAPON
MARCHÉ DU FILM

« Il est de retour ! » C’est ce qu’on s’est dit pendant les dix premières minutes de ce potentiel magnum opus signé Mamoru Oshii. Dix minutes durant lesquelles l’auteur d’Avalon renoue avec la contemplation guerrière, la poésie cyberpunk, le fétichisme martial, et surtout l’inspiration d’une mise en scène mobile et précise, rappelant que le bonhomme est un formidable styliste qui s’est malheureusement un peu perdu ces dernières années. Las, l’excitation laisse vite place à une déception qui avance masquée : alors que les rouages de l’intrigue s’enclenchent lentement mais sûrement (la deuxième division « Patlabor » de la police tokyoïte, mis au placard par l’État, reprend du service suite à une attaque terroriste), l’exigence formelle d’une introduction prometteuse se délite au profit d’une esthétique rappelant les origines télévisuelles du projet (une série en douze épisodes de 48 minutes diffusée l’an dernier et chapeautée par Oshii lui-même). Situations sitcomesques, CGI semi-défaillantes, photographie plate et grisâtre… Merde, v’là que les défauts inhérents aux blockbusters nippons contemporains nous ressautent à la gueule, comme pour nous rappeler que l’un des plus beaux cinémas du monde – et également l’un des plus libres – s’est rangé du côté d’une uniformisation paresseuse et dangereuse. Et si même Mamoru Oshii y succombe…

Fausto Fasulo



NI LE CIEL, NI LA TERRE 
de CLÉMENT GOGITORE
FRANCE
SEMAINE DE LA CRITIQUE

Enfin une vraie bonne surprise, au milieu du paysage globalement décevant des films à caractère fantastique retenus dans les diverses sélections. Pourtant, le CV du réalisateur ne semblait pas s’y prêter : Clément Cogitore, dont c’est le premier long-métrage, est un créateur multicartes formé sous l’égide de l’art contemporain et travaillant plusieurs moyens d’expression. Il n’en a pas moins eu le culot de se coltiner à un contexte trop rarement vu sur grand écran, en montrant un groupe de militaires français stationnés à la frontière afghano-pakistanaise. Leur mission est de routine, jusqu’à ce que des soldats se mettent à disparaître dans des conditions littéralement impossibles : juste le temps de tourner la tête, et ils se sont évaporés… Bien sûr, tout n’est pas parfait dans cette tentative, notamment au niveau des personnages. Les bidasses semblent peu individualisés au début, puis le récit se cale sur l’opposition un peu statique entre un officier droit dans ses bottes et cartésien (Jérémie Renier) et un subordonné tenaillé par des tourments religieux (Kevin Azaïs). Mais peu importe, puisque Cogitore sait forger une atmosphère avec des moyens simples et insidieux. Par exemple, son expérience de plasticien lui inspire d’inquiétantes scènes nocturnes, qui utilisent toutes les ressources des visées infrarouges. Et plus généralement, Ni le ciel ni la terre ne démérite pas au sein des oeuvres consacrées aux croyances païennes et oubliées. En effet, les villageois du coin, pris en étau entre les talibans et les forces de la coalition, semblent être les seuls à connaître des phénomènes remontant sans doute à la période préislamique. Les sortilèges de ces montagnes pelées se développent ainsi jusqu’à un final qui a l’intelligence de ne pas succomber au piège d’une résolution facile. Rendez-vous est donc pris pour une prochaine sortie en salles.

Gilles Esposito 



POD 
de MICKEY KEATING
USA
MARCHÉ DU FILM

À l’instar de bon nombre d’adolescents biberonnés à la vidéo, Mickey Keating connait le cinéma sur le bout des doigts et n’est jamais à court de références. Une attitude très postmoderne qu’il parvient néanmoins à retourner à son avantage, que ce soit dans Ritual, son premier long, ou le présent Pod. Dans ce thriller parano, un homme tente de retrouver son frère, un ancien militaire dont il n’a plus de nouvelles depuis quelques jours. Ouvertement influencé par L’Invasion des profanateurs de sépultures, Keating réussit à éviter le sentiment de déjà-vu qui parasite souvent ce type de microbudgets horrifiques. Capable de citer le travail de maîtres moins ouvertement affiliés au genre tels que Frankenheimer et Fassbinder, le scénariste/réalisateur propose ici un cocktail assez détonnant de terreur et de SF qui ne vire pas à la parodie facile. Totalement sérieux dans sa démarche, Keating ne laisse jamais sa cinéphile prendre le pas sur sa narration. Solidement interprété et photographié avec soin, Pod s’offre également quelques moments de tension bienvenus, qu’il s’agisse de l’apparition très « travis-bicklesque » d’un Brian Morvant flippant ou d’une visite en sous-sol se terminant par une rencontre… mémorable. De quoi donner envie de découvrir les prochains efforts d’un cinéaste aussi actif que prometteur.

Jean-Baptiste Herment

 

THE INVITATION de KARYN KUSAMA
USA
MARCHÉ DU FILM

Curieuse carrière que celle de Karyn Kusama, cinéaste ayant débuté dans le drame indépendant (Girlfight) avant de bifurquer vers le blockbuster hollywoodien pour les besoins d’Æon Flux. Une expérience douloureuse qu’elle tentera d’oublier en signant ensuite un Jennifer’s Body plutôt réussi (un second visionnage s’impose) en dépit d’un scénario amoindri par les tics verbeux de son auteur, Diablo Cody. Kusama revient aujourd’hui avec The Invitation, un huis clos horrifique (eh oui, encore un !) dans lequel un homme endeuillé par la mort de son fils se rend chez son ex-femme pour un dîner de prime abord tout à fait normal. Mais au fil de la soirée, certains invités commencent à douter de la bienveillance de leurs hôtes… Écrit par Phil Hay (Monsieur Kusama à la ville) et Matt Manfredi, The Invitation fait partie des péloche à propos desquelles il est préférable d’en savoir le moins possible afin d’en apprécier les surprises. D’autant que le script se garde bien d’abattre trop vite ses différentes cartes, dans une volonté louable d’instaurer un suspense progressif (un « slow burn » comme disent les Ricains). Une volonté qui se retourne toutefois contre ses auteurs, le deuxième acte n’évitant pas une certaine redondance à force d’aligner des scènes de dialogues tirant parfois méchamment à la ligne. Le style soigné de réalisation (lumière léchée, Cinémascope cadré au millimètre) et le jeu tout en finesse des acteurs font cependant passer la pilule, surtout lorsque The Invitation verse dans un humour sournois aussi déconcertant pour les protagonistes que pour le spectateur… Et si la révélation finale risque forcément d’en décevoir plus d’un, la brutalité du climax permet à Kusama de retomber sur ses pattes, non sans offrir à l’un de ses « méchants » une ultime confession qui boucle la boucle de façon inattendue. On en ressort donc secoué, mais également ému…

Jean-Baptiste Herment

 

THE LOBSTER de YORGOS LANTHIMOS
GRÈCE/G-B/IRLANDE/PAYS-BAS/FRANCE
COMPÉTITION

Décidément, le festival 2015 aura commencé en mode création d’univers. Vingt-quatre heures après s’être plongé dans le monde barbare de Mad Max : Fury Road, on découvrait la société « dystopique » de The Lobster, plus policée mais pas moins cruelle. Spécialisé jusqu’ici dans les microcosmes aux règles rigides et absurdes (Alps, Canine), Yorgos Lanthimos a en effet changé brusquement d’échelle, tant au point de vue d’un casting international (Colin Farrell, Rachel Weisz, John C. Reilly, Michael Smiley, Léa Seydoux, n’en jetez plus) qu’à celui des dimensions de l’histoire. Ici, c’est la planète entière qui semble subir un régime totalitaire où il est tout bonnement interdit de ne pas être en couple. En compagnie d’autres veufs et divorcés, le héros incarné par Farrell rejoint ainsi une luxueuse résidence genre Relais & Châteaux. Tous devront y trouver l’âme soeur dans un délai de 45 jours, faute de quoi ils seront transformés en l’animal de leur choix ! En outre, il est possible de gagner des jours de répit supplémentaires, en abattant certains des résistants/célibataires endurcis qui se cachent dans la forêt alentour… Bizarrement, la majorité du public cannois a préféré cette phase d’exposition, alors que la suite est peut-être plus intéressante : on y perçoit le côté doublement infernal du système, où même les opposants n’arrivent pas à sortir de l’idée selon laquelle on est obligé d’aimer quelqu’un partageant exactement les mêmes goûts.
Voilà de quoi provoquer un ricanement amer chez les âmes solitaires qui traînaient sur la Croisette. Mais si Lanthimos est assez fort pour épingler les oeillères des autres, il a plus de mal avec les siennes propres. Bien sûr, The Lobster vaut pour l’excellence de son interprétation (Colin Farrell, à la rue dans ses précédentes prestations, n’a jamais été aussi bon qu’ici) et pour sa manière de dévoiler les informations au compte-goutte, via des gags froids faisant l’effet d’un pain de glace qui se brise par terre. Par exemple, on apprend l’affaire de la transformation animale lors d’un entretien avec la directrice de l’hôtel, qui conclut en félicitant le héros pour son choix du homard – d’où le titre. Elle explique en effet que de nombreuses espèces sont en voie d’extinction, les gens optant la plupart du temps pour des chiens qui, du coup, pullulent littéralement ! Toujours est-il que la forme du film reste à peu près aussi raide que les normes qu’il prétend dénoncer. Ainsi, le cas Lanthimos laisse un peu perplexe : depuis que ses travaux sont diffusés en France, on y sent quelque chose d’assez passionnant, mais ce quelque chose demeure confiné dans une démarche très théorique. Et ce n’est pas encore avec cet effort-ci que le Grec s’est décidé à renverser complètement la table, pour exprimer enfin ses obsessions de façon plus souple et vivante. Tiens, il devrait peut-être aller (re)voir Mad Max.

Gilles Esposito 

 

ENRAGÉS d’ÉRIC HANNEZO
FRANCE
SÉANCE SPÉCIALE

Si l’idée d’un remake français du génial Cani arrabbiati de Mario Bava vous donne de l’urticaire, vous pouvez passer votre chemin, car vous serez loin d’y retrouver la tension poisseuse d’une des oeuvres emblématiques de l’Italie troubl [...]

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