Cannes 2015 : Mad Movies n°285
YAKUZA APOCALYPSE : THE GREAT WAR OF THE UNDERWORLD DE TAKASHI MIIKE – JAPON – QUINZAINE DES RÉALISATEURS
À la table du festin cannois, il a presque chaque année son rond de serviette installé. Absent l’édition dernière après un coup du chapeau historique (retenu trois fois d’affilée en Sélection Officielle, pour Hara-Kiri : mort d’un samouraï, For Love’s Sake et Shield of Straw), Takashi Miike passe cette fois par la porte de la Quinzaine des Réalisateurs (qui l’avait déjà accueilli en 2003 avec le truculent Gozu) pour présenter son ultime effort en date, Yakuza Apocalypse : The Great War of the Underworld. « Dites bye bye aux films japonais timorés et ennuyeux, j’ai décidé de mon propre chef de retourner à mes racines et de déclencher une émeute » balance Miike à Jason Gray, correspondant japonais du très pro Screen International. Une déclaration à prendre comme une probable réponse à la dernière commande livrée par le réalisateur – et inédite hors archipel –, Kaze ni Tatsu Lion, un mélo médical (trop) bien peigné tourné entre le Japon et le Kenya. « Je peux également remercier Tom Hardy qui a permis à Yakuza Apocalypse de voir le jour » renchérit Miike, exorcisant ainsi avec ironie l’annulation de son premier projet en langue anglaise, The Outsider (un polar musclé dans le Japon de l’après-guerre produit par Joel Silver), auquel la star britannique a été longtemps rattachée avant de quitter subitement le navire pour des raisons inconnues. Un semi-échec virtuel qui aurait donc sorti le réalisateur d’une routine créative en le poussant à réfléchir à de nouveaux concepts originaux, épaulé dans sa démarche par le jeune producteur Shinjiro Nishimura (responsable de la première copro Japon/Indonésie avec Killers des Mo Brothers) et le scénariste Yoshitaka Yamaguchi, deux de ses anciens assistants aujourd’hui montés en grade. Une injection de sang neuf pour une histoire de vampires qui combine les mythes, les codes et les tons, et raconte la vengeance d’un délinquant à la petite semaine (Hayato Ichihara, un beau gosse interchangeable vu dans l’adaptation du manga Rookies) devenu surpuissant après avoir été mordu par son boss aux dents longues (Lily Franky, le papa débonnaire du Tel père, tel fils de Kore-Eda !). Un point départ auquel se greffe – comme d’hab’ chez Miike – un pacson d’éléments joyeusement hétéroclites, et dont la bande-annonce donne un aperçu logiquement over the top. Mais la grosse attente réside probablement dans la présence au générique de l’Indonésien Yayan Ruhian, bloc de charisme révélé sous les traits de Mad Dog dans The Raid de Gareth Evans. « Takashi Miike est le second réalisateur avec qui j’ai travaillé après Gareth. Il est très doué et dispose d’un caractère unique » déclare le guerrier Yayan. On espère que son enthousiasme sera récompensé par un temps de présence à l’écran supérieur à sa triste – mais mémorable – panouille dans The Raid 2.
Fausto Fasulo
VERS L’AUTRE RIVE DE KIYOSHI KUROSAWA – JAPON/FRANCE – UN CERTAIN REGARD
Toujours aussi actif, Kiyoshi Kurosawa vient de boucler le tournage de son premier long-métrage parlé en français (La Femme de la plaque argentique, avec Tahar Rahim, Olivier Gourmet et Malik Zidi) alors qu’arrive à Cannes son précédent opus, déjà coproduit avec l’Hexagone. Dans un entretien récemment accordé au magazine américain Variety, notre homme évoquait en effet les difficultés des grands studios japonais et l’irruption d’une « nouvelle génération de cinéastes qui fait des films à plus petit budget. Leur façon de faire se rapproche d’une optique d’auteur et n’est plus tellement industrialisée. Tandis que nous avons plus de liberté comme réalisateurs aujourd’hui, nous sommes également plus limités dans le genre de films que nous pouvons faire. Je ne peux pas faire un film de samouraïs comme Akira Kurosawa le faisait, c’est pourquoi mes oeuvres parlent souvent de la vie quotidienne à Tokyo. » Vers l’autre rive quitte cependant la capitale, puisque la rumeur décrit cette adaptation de la romancière Kazumi Yumoto comme « une lune de miel où le mari est déjà mort ». Mais on peut compter sur le grand Kiyoshi pour faire imploser, comme à son habitude, les codes des histoires de fantômes. Apparemment, rien ne prouverait à coup sûr que cet homme réapparaissant soudain après avoir été déclaré noyé en mer (rôle dans lequel le grand escogriffe lunaire Tadanobu Asano devrait faire merveille) est bien passé par l’au-delà. De plus, sa femme ressent à son contact l’expérience qu’il a vécue pendant ses trois ans d’absence, si bien qu’elle accepte de l’accompagner dans une balade où ils rendront visite à tous les gens ayant marqué la vie de son époux… Bref, Vers l’autre rive est à ne pas rater, d’autant que ces dernières années ont constitué une période extrêmement faste dans la carrière de Kurosawa : voir Real ou son génialissime dyptique Shokuzai.
Gilles Esposito
THE LOBSTER DE YORGOS LANTHIMOS – IRLANDE/ANGLETERRE/FRANCE/GRÈCE/PAYS-BAS – COMPÉTITION
Bien qu’il s’amuse à sauter à cloche-pied aux extrêmes limites du cinéma traité dans ce magazine, nous avons toujours consacré une petite place aux longs-métrages de Yorgos Lanthimos, à cause de leur peinture de microcosmes fermés aux règles absurdes : de jeunes adultes ayant grandi dans une maison coupée du monde extérieur, où leurs parents ont complètement perverti le sens des mots et des choses (Canine), une sorte de secte dont les membres jouent le rôle de personnes récemment disparues auprès de familles endeuillées (Alps). Eh bien, The Lobster semble indiquer que nous avons eu le nez creux, le premier film en anglais du cinéaste grec étant doté d’un casting super sexy (Colin Farrell, Rachel Weisz, John C. Reilly, Léa Seydoux, n’en jetez plus) et surtout d’un postulat d’anticipation bien barré. Voyez le résumé officiel : « Dans un futur proche… Toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l’Hôtel et a 45 jours pour trouver l’âme soeur. Passé ce délai, elle sera transformée en l’animal de son choix. Pour échapper à ce destin, un homme s’enfuit et rejoint dans les bois un groupe de résistants, les Solitaires. ». Mais en plus d’ouvrir (peut-être) son cinéma à un plus large public, The Lobster nous amène déjà à modifier notre regard sur les précédents travaux de Lanthimos. Des photos à l’aspect bouffon (oh, la moustache de Colin Farrell !) suggèrent en effet que son cinéma n’est peut-être rien d’autre qu’une sorte de burlesque froid et immobile. Ici, cela se complique d’une touche de romantisme, l’i [...]
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