BLIND SUN de Joyce A. Nashawati
Blind Sun
Après quelques courts-métrages remarqués (tel La Morsure, Grand Prix à Gérardmer en 2010), Joyce A. Nashawati poursuit dans son premier long une approche mêlant fantastique allusif et discours social en sourdine. Celui-ci tombe carrément à pic dans Blind Sun, qui évoque tout à la fois le réchauffement climatique, les réfugiés du Moyen-Orient et la crise financière grecque. Au pays d’Homère, un jeune homme au nom arabe (Ziad Bakri) est engagé pour garder la villa d’un couple de Français fortunés en leur absence, mais il y est dérangé par un inconnu insaisissable, ou plutôt une ombre apparaissant ponctuellement dans la baraque. Par ailleurs, la canicule et les incendies de forêt font rage, si bien que toute la Grèce semble mise en coupe réglée par une multinationale vendant à prix d’or une eau potable devenue denrée précieuse… Ce dernier aspect reste toutefois assez abstrait : il n’y a qu’à voir la distribution publique de flotte, où les préposés au camion-citerne ne se soucient guère d’économiser la moindre goutte. Du coup, la question posée par le film réside surtout dans le fait de savoir ce qui est ennuyeux ou pas, dans ce genre de tentative située à la croisée de l’insolite et du cinéma d’auteur. La réponse est plutôt étonnante.
Car s’il existe un cliché dans le fantastique, ce sont sûrement ces figures secondaires qui regardent d’un air impassible un héros aux prises avec le surnaturel, comme si le monde entier s’était ligué pour renforcer sa solitude et le mener à sa perte. On retrouve ici l’inévitable plan où une vioque jette un coup d’oeil méfiant derrière les carreaux de sa fenêtre, mais le plus grave est que ce détail s’étend à l’ensemble du film. Malgré l’option réaliste d’un dialogue parlant tour à tour grec, français et anglais pour respecter les langues des personnages, ces derniers constituent en effet le gros point faible de Blind Sun en termes d’écriture. Tous s’avèrent unidimensionnels et antipathiques, étant branchés sur la même expression de morgue hostile… ou simplement indifférente, dans le cas de la jolie archéologue. Cela nous vaut certaines facilités scénaristiques (les diverses apparitions du flic raciste aux lunettes noires), voire des scènes crispantes : mention spéciale au vendeur d’épicerie qui calcule à peine son client, ayant les yeux rivés sur un porno lesbien ! Et surtout, les différentes rencontres effectuées par notre sans-papier engendrent ainsi une pénible impression de monotonie.
En revanche, les moments où il est seul – ou seul avec son « ombre » – sont indéniablement réussis, à tel point qu’on a le sentiment que, par un curieux paradoxe, Blind Sun aurait été bien plus trépidant s’il avait été tout entier resserré sur le désoeuvrement du protagoniste principal. Là, le basculement dans un monde de folie joue à plein, d’autant qu’il inverse les connotations habituelles : les hallucinations (?) ne sont pas causées par les sortilèges de la nuit, mais au contraire par un soleil écrasant qui éblouit et plonge dans une torpeur suscitant d’étranges visions. Celles-ci s’appuient en outre sur de jolies rimes visuelles, du masque antique mis au jour par des fouilles archéologiques, qui connaîtra d’autres avatars à l’intérieur de la maison, à la présence obsédante de l’eau et du feu, qui finiront par prendre une nouvelle signification. Au sein de Blind Sun, il existe ainsi un second film plus souterrain, serpentant jusqu’à des dernières minutes assez géniales, qui parviennent à préserver le mystère (le héros ne cherche même pas à distinguer le visage de son alter ego maléfique) tout en rendant concret ce qui relevait de l’impalpable. Et on quitte la salle sur cette bonne impression finale, donnant envie de voir les prochains travaux de Joyce A. Nashawati.
Gi [...]
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