
Bilan 2018
F.F. Messieurs, en regardant vos tops/flops respectifs ainsi que celui de la rédaction, je me rends compte que malgré la présence massive, depuis notre nouvelle formule, de films inédits en salles et donc exploités en VOD et SVOD, notre top 10 reste quasiment exclusivement « cinéma », à l’exception du Jeremy Saulnier, Aucun homme ni dieu… Je ne sais pas quelle conclusion on peut en tirer… Est-ce à dire que les films qui ne sont pas exploités en salles méritent tout simplement leur sort, à quelques exceptions près peut-être ?
L.D. La grosse différence entre la VOD et la SVOD, c’est que la première catégorie est constituée de films bazardés par les studios ou les distributeurs parce qu’ils savent que ces titres n’ont aucune chance en salles. Et il y a les films Netflix qui, eux, sont produits comme des films faits pour la salle, pour attirer les gens…
F.F. Pourtant, on ne retrouve dans le top de la rédaction qu’un seul film Netflix : Aucun homme ni dieu. Alors qu’il y avait de sérieux prétendants cette année : le film d’Alex Garland, Annihilation, Le Bon apôtre de Gareth Evans, Illang : la brigade des loups de Kim Jee-woon… Ces films-là ne figurent pas ou peu dans nos tops.
G.E. Je vous avouerai que je suis un peu largué avec la VOD parce qu’avant, on commençait à entendre parler de ces films grâce à leur diffusion en festivals, et je suis plutôt dans ce circuit-là. Mais que ce soit Netflix ou autres, ces titres débarquent maintenant directement en VOD, ça sort un peu « out of the blue » sans qu’on en ait vraiment entendu parler. Alors on les chronique quand ils apparaissent sur les plateformes VOD, mais ce ne sont pas des films dont on parle en previews. Tout ça se fait un peu sous le radar.
L.D. Il y a des cas particuliers, comme Illang : la brigade des loups. À la base, le but était de le vendre dans les salles du monde entier. C’est un film très ambitieux formellement et qui a coûté très cher. Mais il s’est tellement banané au box-office coréen que Warner, qui a distribué le film là-bas, l’a refilé à Netflix. Même chose pour Annihilation, que j’ai placé tout en haut de mon top. À la base, c’est un film Paramount sorti en salles aux USA et en Chine, mais comme ce n’est pas vraiment un blockbuster SF lambda, c’est finalement Netflix qui l’a acquis pour le reste du monde…
A.P. Quand j’ai vu Annihilation pour la première fois, j’ai eu quelques réticences. Mais je l’ai revu deux autres fois, et je trouve que c’est un film qui gagne progressivement ses galons. Et c’est vrai qu’on se rend compte maintenant que les studios prennent de moins en moins de risques pour les films un peu plus « subtils », disons. Ce qui fait qu’ils sont capables de bazarder des trucs comme Annihilation, qui est par moment assez brillant.
L.D. J’aurais rêvé de le voir sur grand-écran.
F.F. On en revient souvent à cette espèce de débat autour de : « Ça fait chier, ce film ne sort pas en salles alors qu’il méritait d’être vu sur un grand écran… ». Sauf que, quand on regarde notre top des meilleurs films de l’année, finalement, ce ne sont quasiment que des oeuvres sorties en salles. Finalement, si certains titres à fort potentiel sont restés cantonnés à la VOD, c’est qu’il y avait peut-être de bonnes raisons. Ces oeuvres sont dans une sorte d’entre-deux un peu mou. Elles n’ont pas vraiment déchaîné les passions, dans un sens ou dans l’autre… L’autre conclusion de ce classement, c’est le sacre de Lars von Trier. The House That Jack Built est présent dans quasiment tous les tops. C’est une très grosse unanimité. Et ce qui est intéressant, c’est que caracolent en tête le film d’un auteur totalement assis en termes de notoriété, et un premier long-métrage, Hérédité. Cela pourrait indiquer une sorte de… je n’irai pas jusqu’à dire une « relève », même si ce sont des films qui abordent le genre d’une façon beaucoup plus diluée, d’une certaine manière, que des films plus évidents du type Ghostland…
G.E. Hérédité figure dans mon flop en bonne place. Et je ne suis pas du tout d’accord avec ce rapprochement avec The House That Jack Built. Lars von Trier est peut-être un méga auteur, mais finalement, il a tellement creusé la part sombre de ses personnages que maintenant il ne traite plus que ça. Des portraits de sorcières, de tueurs… Hérédité, à l’inverse, est vraiment une espèce de film de genre super basique qui essaye juste de péter plus haut que son cul en se prenant au sérieux, avec ses acteurs en plein psychodrame comme on n’ose plus en jouer sur les scènes new-yorkaises depuis 50 ans…
F.F. Un peu comme Suspiria, quoi ! J’ai l’impression d’entendre la définition de Suspiria, qui figure dans mon flop pour le coup.
G.E. Suspiria n’est pas vraiment une espèce de drame à la Elia Kazan. Je pense qu’on peut l’attaquer sur d’autres choses… Je trouve la prétention d’Hérédité assez sinistre, alors qu’on peut certes trouver Suspiria prétentieux, mais je trouve qu’il y a malgré tout une certaine audace et une certaine iconoclastie dans sa prétention. Après, c’est un drôle de machin, Suspiria.
A.P. Tu as trouvé Hérédité prétentieux ? J’y ai vu un film sûr de lui, très maîtrisé. Et quand il donne dans le genre, c’est vraiment du genre. Il y avait longtemps que je n’avais pas autant flippé au cinéma que lors des 20 dernières minutes d’Hérédité… Pourtant, je ne suis pas fan du registre fantômes, démons, possession, etc. J’ai trouvé ça tellement inventif dans l’horreur !
G.E. « Le côté genre », « faire du genre »… Si tu fais un film fantastique, tu fais un film fantastique, c’est tout. Il faut arrêter de dire : « Oui, mais attention, c’est quand même plus qu’un film fantastique, regardez cette scène et tous ces acteurs qui jouent bien… ». Alors que ce film est atrocement joué, avec ses règlements de comptes familiaux sordides et, en plus, ce côté « Ouais, mais ne vous inquiétez pas les gars, on est tellement décomplexé, on va faire du genre et au final, vous allez voir ce que vous allez voir ! ». Ce n’est pas du tout intégré, en fait. Le drame et l’horreur ne se mélangent pas du tout dans Hérédité.
L.D. Le film te fait croire qu’il sépare les genres, mais il est bardé d’infos et de détails visuels qui, quand tu le revois une seconde fois, démontrent que le drame est mis en place par un mécanisme de manipulation horrifique. La destruction de cette cellule familiale est une machination fomentée par des personnes dotées de très mauvaises intentions. À la première vision, tu peux avoir l’impression que le drame est déconnecté de l’horreur, mais au final, tu t’aperçois que le drame est un mécanisme enclenché par l’horreur.
G.E. Oui, mais je ne me situais pas sur le plan de la narration… De toute façon, je suis remonté contre le film, et contre cette catégorie que la presse anglo-saxonne a baptisée l’« elevated genre cinema », le cinéma de genre élevé. Comme s’il avait besoin d’être élevé. Allez vous faire foutre. On n’a pas besoin d’être élevé !
F.F. On est resté un petit moment sur Hérédité, mais on ne va pas éplucher le top/flop film par film… Tiens, je constate qu’il y a une symétrie parfaite en termes de présence de films français dans le top et dans le flop. Deux dans chaque catégorie : dans le top, on a Climax et Ghostland et dans le flop, on a Revenge et High Life.
L.D. Je ne suis pas du tout d’accord avec la présence de Revenge dans le flop, mais bon… Je sais que je suis assez seul…
G.E. Toi qui es l’unique défenseur de ce film en France, tu n’as même pas été foutu de le mettre dans ton top ! (rires) En tout cas, c’est plutôt une bonne année française, avec notamment Gaspar Noé qui revient à son meilleur, à mon avis.
L.D. Un couteau dans le coeur a été cité plusieurs fois, le film a été une belle surprise.
G.E. Un couteau dans le coeur, Les Garçons sauvages, Mutafukaz… Finalement, si on prend mon top 20/25, [...]
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