Après lui le déluge
Why Don't You Play in Hell?
Depuis le temps qu’on cause avec – et de – lui, on a bien fini par cerner le bonhomme : jamais rassasié, flippé à l’idée d’être oublié, transcendé par l’urgence et désireux de laisser une empreinte instantanément identifiable sur le cinéma japonais – ou mondial, après tout – , Sono Sion est un monstre narcissique en surrégime, cultivant le paradoxe de vouloir être à la fois reconnu par des pairs qu’il fustige prosaïquement (« Les réalisateurs japonais d’aujourd’hui font constamment la morale et se prennent pour des professeurs. Leur cinéma est profondément ennuyeux » nous déclarait-il en septembre dernier lors de son passage à L’Étrange festival pour la présentation de Tokyo Tribe) et entièrement libre dans ses choix artistiques à la radicalité variable. Une position complexe qui impacte trèsclairement l’équilibre d’une filmographie de plus en plus insaisissable – donc libre ? – et qui voit, entre deux films de commande (souvent des adaptations de mangas localement populaires, cf.Tokyo Tribe et le futur Shinjuku Swan) défendus du bout des lèvres par l’intéressé, un projet plus personnel faire sa place en jouant férocement des coudes. La tardive sortie française de Why Don't You Play in Hell?, projet punk de jeunesse resté plus de dix ans dans un tiroir, témoigne ainsi d’un retour inattendu– mais pas contradictoire – à une forme de cinéma volontairement décomplexé et agressif, probable réponse à une accalmie post-Fukushima qui donna lieu à deux très beaux films cathartiques (les hyper-mélos Himizu et The land of hope). Pourtant, sous ses airs de récréation postmoderne et bariolée taillée pour le public geekoïde occidental (avec clins d’oeil tarantiniens évidents et sexy-fétichisme d’otaku puceau), Why Don't You Play in Hell? dissimule un coeur brûlant et intime, composé tout autant des fantasmes juvéniles de son auteur (les emprunts/citations au chambara et au yakuza eiga, deux genres populaires qui irriguent sa cinéphilie éclectique) que de ses préoccupations philosophiques bien actuelles (tourner = (sur)vivre). Cette conscience bicéphale glisse également vers un trip volontairement méta quand Sono Sion balance, lors d’une scène où ses jeunes personnages squattent une salle de cinéma, des images issues de The Room, un néo-noir âpre et existentialiste réalisé en 1992, et de The Blood of Wolves, un film de sabre curieusement inachevé coréalisé avec l’acteur/chorégraphe Tak Sakaguchi en 2012. Brouillant ainsi la temporalité de sa carrière au sein même de la fiction, Sono Sion s’analyse et ouvre alors des perspectives assez dingues aux spectateurs, l’imbrication de ses obsessions et de ses travaux passés ou inachevés avec l’intrigue de son film débouchant sur une sorte de chaos vertigineux et, forcément, infernal puisque formulé ainsi : « Why don’t you play in hell ? ». Soit, tout ça sonne très théorique, voire un peu rude pour qui ne s’est pas encore frotté à la « chose ». Soyez néanmoins rassurés : Why Don't You Play in Hell? fonctionne également très bien dans une première lecture plus spontanée et moins « intellectualisante » (le pitch donne très vite le ton : un cinéaste en herbe tourne le film de sa vie dans l’étau d’une guerre de clans yakuzas), son énergie immédiate, déployée dans une quasi-apnée et rythmée par une ritournelle publicitaire ronge-cerveau et traumatique (vous comprendrez mieux en regardant le film) emportant – comme c&r [...]
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