AMERICA FUCK YOU !
Avec le recul, il est étonnant de constater à quel point les deux films de James DeMonaco, American Nightmare (aka The Purge, 2013) et American Nightmare 2 : Anarchy (aka The Purge : Anarchy, 2014) ont été reçus comme des divertissements gentiment politiques et limite parodiques. Pourtant, leur incontestable charge sociétale, alliée à leur indéniable succès commercial (en cumulant les deux films, plus de 200 millions de dollars de recettes monde pour un budget de tournage global de 13 millions environ), en font des productions à part. D’abord parce qu’elles ne prennent aucun gant pour décrire les travers bien réels d’une Amérique aussi sécuritaire qu’inégalitaire, ensuite parce qu’elles le font sans jamais sacrifier les codes ludiques des genres commerciaux dans lesquels elles s’inscrivent (le home invasion pour le premier, le vigilante/action flick pour le second). Une formule que bien peu de films de genre « engagés » récents sont parvenus à appliquer au sein d’une industrie cinématographique américaine pourtant bien connue pour avoir de tout temps osé regarder son pays droit dans les yeux. C’est en tout cas ce qu’a décidé de faire James DeMonaco alors qu’il résidait en France pour travailler sur le remake d’Assaut de Jean-François Richet, dont il fut le coproducteur et scénariste en 2005 : « J’ai peu à peu réalisé que le traitement de l’information était très différent là-bas. C’était très étrange. J’ai également vécu au Canada, et c’était aussi très différent. Les journalistes parlaient beaucoup de ce qui se passe en Amérique, tout simplement parce qu’il n’y avait pas grand-chose à traiter en matière de crime et de violence dans leur propre pays. C’est donc de l’étranger que j’ai pu comprendre cet état de fait : nous autres Américains avons un rapport très spécial à la violence. » (1) Les germes sont plantés pour la naissance d’American Nightmare, et le coup de pouce final sera apporté par la femme du scénariste qui, après une violente altercation avec un automobiliste alcoolisé, déclare à son mari, sous le coup de la colère : « Dommage qu’on n’ait pas le droit d’en tuer juste un par an, histoire de se défouler ! ». Naît alors le concept de la « Purge », cette nuit annuelle où, pendant 12 heures, les citoyens américains ont le droit de commettre des meurtres sans être inquiétés par la police, ceci afin d’évacuer leurs pulsions et frustrations et de mieux se comporter le reste de l’année. Un postulat d’anticipation fort, riche en possibilités narratives et juste assez caricatural pour exprimer ses intentions de façon ludique. Le premier film suit la famille de James Sandin (Ethan Hawke), riche représentant en systèmes de sécurité, alors que son propre foyer est envahi par des « purgeurs ». « Au début du film, le personnage d’Ethan Hawke est plutôt un gars détestable si vous analysez sa façon de voir la société » rappelle DeMonaco. « Il vend des systèmes de sécurité aux riches tout en sachant que des pauvres qui n’ont pas les moyens de se protéger se font tuer. En revanche, sa famille est en sécurité, parce qu’eux ont les moyens de se protéger. » (2) La sacro-sainte protection de la famille, thème central du discours sécuritaire américain, comme moteur de l’injustice et de l’inégalité économique ? Ce n’est pas tous les jours qu’un « simple » film d’horreur exprime un postulat aussi radical à travers une formule élaborée avec assez de finesse pour se poser également en home invasion tendu et énervé, mais aussi totalement conscient de ses propres contradictions (la fameuse scène où le personnage de Lena Headey éclate le nez d’une de ses voisines avec la crosse de son fusil en hurlant : « Assez de violence pour cette nuit ! »).
I PURGED !
Le succès du film en salles incite la Universal à donner un feu vert immédiat à DeMonaco et Jason Blum, son producteur, pour un second volet qui sortira un an plus tard. Cette fois, l’action se passe dans les rues, alors qu’un homme (Frank Grillo) décidé à venger la mort de son fils se trouve impliqué dans un affrontement entre gangs vénaux, unités paramilitaires aux ordres du gouvernement et résistants armés. « Ma plus grande peur actuellement a trait aux armes à feu, et ce second film est né de cette peur » explique le réalisateur. « Mon cynisme vient de ce que je vois lorsque je regarde les infos. Et cela me terrifie : j’ai peur pour ma fille, j’ai peur pour moi, et j’ai peur pour mon pays. » (3) Ce second volet ne s’embarrasse d’aucune subtilité pour avancer son argumentaire, et énonce littéralement que le pouvoir en place maintient volontairement un climat de peur et de tension pour favoriser la vente d’armes et de systèmes de sécurité, tout en incitant les populations les plus démunies à s’entretuer, histoire de nettoyer la racaille. DeMonaco imagine même des escadrons de la mort commandités par les « Nouveaux Pères Fondateurs » (le parti réactionnaire au pouvoir), chargés pendant la Purge d’éliminer des quidams issus des minorités pour accélérer un processus trop lent au goût des dirigeants ! De la pure fiction spéculative, qui pousse à fond les curseurs pour mieux parler des enjeux du monde réel, dans le plus pur style d’un John Carpenter (New York 1997 et Invasion Los Angeles ne sont jamais loin).
Fort logiquement, le troisième American Nightmare, sous-titrés Élections, montrera comment les Nouveaux Pères Fondateurs profitent de la Purge pour lancer des tueurs aux trousses de Charlene Roan (Elizabeth Mitchell), une femme politique opposée à leurs agissements et favorite dans la course à la Maison-Blanche. Sergeant (Frank Grillo), le héros du précédent opus devenu garde du corps de Roan, va tout faire pour la protéger… Là encore, un pitch culotté mais surtout prophétique, alors que les primaires américaines semblent annoncer un duel Trump/Clinton où la bassesse des coups échangés risque de faire passer la future primaire de nos Républicains à nous pour une chamaillerie de cour d’école. Bien sûr, la réalité est plus complexe (attention à ne pas voir dans Roan l’alter ego de Hilary Clinton, puisque le discours et les convictions de la première la rapprochent bien plus d’un Bernie Sanders), mais le fait est que James DeMonaco semble bénéficier d’une marge de manoeuvre quasi infinie et prend un malin plaisir depuis 2013 à tendre à ses concitoyens un miroir à peine déformant et en quasi-temps réel. Son secret ? Il est simple comme bonjour : ne pas trop dépenser d’argent, et en rapporter beaucoup ! Alimenter les caisses du grand capital pour gagner le droit de le critiquer ? Only in Hollywood !
THE TOWERING INFERNO
Le fait est que si les American Nightmare semblent honorer la vénérable tradition du cinéma d’horreur américain conçu comme une allégorie des vraies horreurs américaines, la franchise est en réalité l’arbre qui cache… l’absence de forêt ! Enfin presque. En se penchant sur la production fantastico-horrifique US depuis l’année 2001, date où les événements du 11 septembre ont radicalement modifié le climat sociopolitique du pays (voire du monde entier) et marqué le début d’une ère malheureusement propice à l’autocritique, on peut constater que les grands ou petits films de genre ayant réellement marqué les esprits pour leur contenu contestataire ne sont pas légion (alors qu’à l’inverse, certaines péloches très conservatrices comme les Twilight ont connu un succès sans précédent). Quelques titres s’imposent, bien sûr, mai [...]
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