Actualité : La Prochaine fois je viserai le coeur

Surprise ! Produit loin de la sphère du cinéma d’horreur à la française, ce film frappe un grand coup dans le genre « portrait clinique d’un assassin », en allant chercher un cas fascinant dans les annales judiciaires de la République.

Un serial killer en France. D’habitude, les réalisateurs illustrent le thème en fourrant tant bien que mal des codes de films américains dans un contexte tricolore, ou alors en situant l’action dans un pays indéterminé qui se réfère moins à un territoire précis qu’à un souvenir de cinéma. Un psychopathe qui habiterait à côté de chez Mme Michu, ce ne serait pas crédible, disent les décideurs du 7e Art. Pourtant, il y aurait beaucoup à gagner en écoutant les râleurs qui regrettent le bon vieux temps où romanciers et scénaristes, comme les feuilletonistes du XIXe siècle avant eux, glanaient leur inspiration en traînant dans les cours d’assises ou en épluchant les gazettes type Nouveau détective. Car des tueurs en série dans l’Hexagone, il y en a eu un certain nombre. Le troisième long-métrage de Cédric Anger leur rend enfin justice en s’emparant d’une affaire qui a défrayé la chronique dans la France de 1978, avant d’être quelque peu mise sous le boisseau. Et pour cause : loin de recourir à la moindre ruse narrative, La Prochaine fois je viserai le coeur pose d’emblée une réalité bien embarrassante. Roulant un soir en mobylette, une jeune fille est violemment renversée par une voiture qui était garée en faction devant chez elle, et dont le conducteur l’aurait achevée d’un coup de revolver si ses plans n’étaient pas dérangés par l’arrivée d’un autre véhicule. L’homme regagne ensuite ses pénates, pour se réveiller quelques heures plus tard… et revêtir aussitôt un uniforme de gendarme !

Le cas d’Alain Lamare a en effet ceci de particulier que l’homme s’est retrouvé à mener l’enquête sur ses propres crimes, en manifestant au passage une opiniâtreté rageuse qui laissait ses collègues pantois. Difficile, cependant, de savoir si le personnage du film (baptisé Franck pour bien marquer une libre variation par rapport à son modèle) cherche à berner son monde, ou s’il est un véritable schizophrène voulant secrètement jeter l’éponge en « s’arrêtant lui-même ». Cédric Anger n’explique pas plus qu’il ne juge ou moralise. Certes, il ne tombe pas non plus dans la complaisance guettant souvent les films où un serial killer est de tous les plans : au contraire, la seule tentative de meurtre montrée in extenso décrit un mode opératoire (une balle tirée à bout portant dans une voiture) qui engendre une sensation de proximité physique jetant un voile lugubre sur l’ensemble. Mais le récit se contente de juxtaposer des scènes révélatrices où ledit Franck est tantôt en civil tantôt dans ses fonctions de gendarme, et qui oscillent entre grands morceaux d’action (voir cette battue remarquablement filmée dans les bois) et détails nauséeux (les mortifications que le personnage s’auto-inflige avec des fils barbelés ou de l’eau bouillante). Au spectateur de recoller par lui-même les morceaux du puzzle pour dessiner l’image d’un psychisme brisé, grâce notamment à la sobre intensité de l’interprétation. Car ceux qui avaient un sourire en coin devant le nom de Guillaume Canet en seront pour leurs frais : le héros de Jappeloup livre une prestation saisissante, en réussissant à paraître tour à tour, et parfois même simultanément, raide comme un piquet et complètement déviant.

D’ailleurs, en plus d’apporter un nom qui a sûrement permis de financer un projet atypique, la présence de Canet semble aller de soi, car il fallait absolument que le personnage fût incarné par un beau gosse. La part la plus étonnante du film réside en effet dans la relation sentimentale que Franck entretient avec une jeune femme qui fait des heures de ménage chez lui (Ana Girardot, assez formidable dans son côté un peu largué). Alors qu’on s’attendait à ce qu’il soit un sociopathe faisant fuir toutes les donzelles, il suscite en fait une vraie passion chez cette autre marginale qui lui passe même son ton cassant et ses sautes d’humeur. Mais leur histoire sera tuée dans l’oeuf par l’impuissance perverse qui rôde, et plus généralement, par une atmosphère poisseuse à tous les étages. Voir La Prochaine fois je viserai le coeur, c’est un peu comme rendre visite à une vieille grand-tante, dans une baraque toute en papiers peints passés et bibelots poussiéreux, où planent les [...]

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