25E FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM FANTASTIQUE GÉRARDMER

Le traditionnel festival gérômois fêtait cette année ses 25 ans (ça ne nous rajeunit pas) et affichait pour l’occasion une forme assez fringante. Beaucoup d’équipes de film présentes, quelques événements marquants (Ghostland de Pascal Laugier ou encore l’excellent Cold Skin de Xavier Gens étaient de la fête), et une sélection variée ont permis à la Mad Team de survivre entre deux raclettes et une absinthe. Que voulez-vous, on fait un métier dangereux.
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PRIX DU JURY EX-ÆQUO & PRIX DE LA CRITIQUE
LES BONNES MANIÈRES DE JULIANA ROJAS & MARCO DUTRA
Après Travailler fatigue, le duo brésilien continue de creuser le sillon du fantastique social sud-américain, mais cette fois avec une approche plus ouvertement merveilleuse et surnaturelle.
nceinte après un « coup d’un soir » alors qu’elle était officiellement fiancée, Ana est contrainte par ses riches parents de s’installer seule dans un appartement du centre de São Paulo. Pour l’aider au quotidien, elle engage Clara, une infirmière solitaire vivant dans un quartier pauvre. Peu à peu, une relation profonde s’installe entre les deux femmes, jusqu’à la naissance du bébé, qui n’est pas tout à fait humain… En 2011, avec Travailler fatigue, Juliana Rojas et Marco Dutra avaient dressé un glaçant état des lieux du marché du travail brésilien sur fond de fantastique polanskien insidieux. Les Bonnes manières se montre plus aventureux dans son mélange entre réalisme et surnaturel, puisque le second élément est ici bien plus frontal. Mais avant son intrusion dans le récit, le film aura pris soin de nous balader : la rencontre entre Ana et Clara instaure immédiatement une différence de classe presque chabrolienne dans sa description, que l’on soupçonne bien vite d’être l’un des moteurs potentiels de l’intrigue. C’est finalement tout l’inverse qui se produit, le rejet de ces barrières par les deux héroïnes et leur belle histoire d’amour lançant le film vers d’autres horizons, avant de faire un brusque bond en avant de sept ans en plein milieu de métrage après une scène-choc assez mémorable. Les Bonnes manières a donc le bon goût d’aborder un mythe codifié – celui du loup-garou – en prenant soin de ne pas l’inscrire dans un environnement narratif figé dans les conventions. La seconde partie révèle finalement le projet global du film, celui de discourir sur les liens qui peuvent unir les êtres au-delà des appartenances sociales ou familiales, ce qui débouche sur une conclusion touchante illustrée par un plan final puissant.
Reste que pour atteindre sa vitesse de croisière et sa plénitude dramatique, Les Bonnes manières emprunte des chemins de traverse risqués. L’emploi de couleurs pop/pastel dans les décors stigmatise une approche graphique « conte de fées réaliste » un peu trop facile (il ne suffit pas d’un mur mauve et d’une matte painting pour transporter le spectateur), et les 2h15 au compteur se font singulièrement sentir via un tempo narratif d’une nervosité toute relative. De plus, on attendait de voir comment les cinéastes allaient choisir de concrétiser leur créature afin de donner à cette dernière une crédibilité apte à soutenir les émotions explorées par le scénario. De prime abord, le résultat désarçonne : révélé via un superbe animatronique lors de sa naissance, le loup-garou devient entièrement numérique lorsqu’il doit se mouvoir à l’écran, et se dévoile via un design presque « mignon », qui tente de trouver un équilibre entre l’innocence et l’animalité du personnage. Le résultat, quasi disneyien, heurte la rétine et fragilise immanquablement les bonnes intentions de ces Bonnes manières peut-être un peu trop polies.

L.D.


INTERVIEW JULIANA ROJAS & MARCO DUTRA

RÉALISATEURS & SCÉNARISTES
Ils avaient signé l’excellent Travailler fatigue, mais ils nous racontent pourtant avoir bossé comme des fous pour projeter un mythe ancestral dans le Brésil urbain des Bonnes manières, avec une étonnante créature due à des techniciens français.

Comment avez-vous bâti ce scénario divisé en deux époques distinctes ?

Marco Dutra : J’ai d’abord parlé à Juliana d’une image à laquelle j’avais pensé : une femme dans un endroit isolé, élevant un bébé qui n’est pas humain. La chose intéressante est que, même si l’histoire a beaucoup évolué, sa structure a toujours été la même, avec deux parties illustrant deux aspects de la maternité. La première touche à la grossesse, et la seconde montre comment on se débrouille avec l’enfant. Ce qui a changé pendant l’écriture, c’est que nous avons décidé d’être encore plus radicaux en effectuant un bond en avant de sept ans, si bien que les deux parties sont également séparées dans le temps. En effet, nous avons pensé que si Joel était encore bébé dans le second volet, son personnage n’aurait pas assez de substance.

Juliana Rojas : Nous avons étudié beaucoup de films de loup-garou, et j’ai souvent été dérangée par le fait que le lycanthrope n’était pas un personnage. Il en est un quand il est humain, mais après la transformation, il est comme une bête dépourvue d’émotions. C’est seulement dans Pleine lune (d’Eric Red, 1996 – NDR) que j’ai trouvé qu’on pouvait vraiment ressentir la tragédie et la douleur d’un personnage se métamorphosant en loup-garou. Pour moi, c’est un mythe très intéressant, car il exprime la dualité entre l’humain et la bête. Nous pouvons tous nous y reconnaître, puisque nous nous débattons toujours entre notre rationalité et notre instinct. De plus, même s’il est présent partout dans le monde, le loup-garou est un mythe très populaire au Brésil, en particulier à la campagne. Durant la colonisation, il a en effet été transformé pour empêcher les gens de transgresser certains codes moraux et religieux. Par exemple, on vous raconte que vous risquez de devenir un loup-garou si vous n’êtes pas baptisé, ou bien si vous couchez avec un prêtre ou un membre de votre famille. La version brésilienne du mythe en dit donc long sur notre société.


Vous avez envisagé de tourner en live le flash-back animé ?

M.D. : Jamais, car c’est comme un conte de fées à l’intérieur d’un conte de fées, et cela semblait donc naturel de le présenter comme un livre d’images. De plus, c’est une scène très intime, où Ana raconte son passé à Clara au coin du feu… même si ce dernier provient d’une cheminée numérique, très propre. En fait, le flash-back est le seul moment du film se passant à la campagne, et nous voulions adapter le folklore du loup-garou brésilien à un goût plus urbain et contemporain. Il y a cette cheminée numérique, et dans les dernières séquences, nous avons aussi utilisé les fêtes organisées dans les écoles à la Saint-Jean, où les enfants sont déguisés en paysans et les salles de classe redécorées avec des trucs campagnards.

J.R. : De manière générale, nous voulions créer une ville qui soit à la fois le vrai São Paulo et un São Paulo de conte de fées. Pour cela, nous avons beaucoup travaillé sur la palette de couleurs, et aussi utilisé des matte-paintings traditionnels, des peintures sur verre effectuées à la main, qui créent une certaine artificialité dans le paysage. D’autre part, nous avons insisté sur le contraste entre le centre-ville riche où vit Ana et la périphérie d’où vient Clara. Cette division géographique existe dans la réalité, mais nous l’avons rendue plus stylisée, notamment pour ce qui est de la rivière et du pont marquant la frontière entre les deux zones. Idem pour le centre commercial qui ressemble à une pyramide de verre : c’est un extérieur très intéressant et dramatique, mais nous avons rendu la façade plus fantastique, pour qu’elle soit encore plus impressionnante aux yeux des enfants.


Comment s’est passée la coproduction française ?

M.D. : Pour créer le monstre, nous avons travaillé avec un artiste français du nom de Mathieu Vavril. Nous avons beaucoup discuté de la taille des mains, des ongles, des yeux, de la tête, car l’important était de donner l’idée d’un loup-garou pas encore complètement développé, pas encore adulte. Ensuite, après avoir choisi Miguel Lobo pour jouer Joel à l’âge de sept ans, nous avons adapté ces dessins préparatoires à son anatomie. Et enfin, la société Ateliers 69 a conçu le bébé animatronique, tandis que Mikros Image commençait à travailler sur les CGI. Ces derniers ont apporté des effets de fourrure et de couleur, en s’inspirant de la performance de Miguel, qui avait joué certaines scènes en portant un costume vert. Bref, ce long processus a été une aventure en elle-même.

Propos recueillis par G.E. Merci à Chloé LORENZI 




EN COMPÉTITION
CHASSEUSE DE GÉANTS D’ANDERS WALTER
Au sortir de la projection, tout le monde s’accordait à dire que les aventures de cette adolescente trouvant refuge dans un univers imaginaire lorgnait fortement sur les thématiques du Quelques minutes après minuit de Juan Antonio Bayona. Un effet miroir, certes compréhensible, mais qui n’a pas manqué d’irriter le Danois Anders Walter (lauréat de l’Oscar pour son court Helium, excusez du peu), d’autant que son premier effort s’avère être l’adaptation d’un roman graphique datant de 2009. Reste que même sans se prêter au jeu des comparaisons, Chasseuse de géants peine à atteindre son but, la faute à une écriture trop appuyée pour permettre à l’émotion de nous prendre aux tripes. Il aurait sans doute fallu un peu plus de finesse pour rendre attachant et authentique ce mélodrame fantastique dominé par une lycéenne en marge dont le caractère trop idéalisé (quelle que soit la situation, elle sait toujours quoi dire ou faire) n’est pas sans provoquer une certaine exaspération en dépit de l’interprétation convaincante de Madison Wolfe. Dommage, car Walter manie sa caméra avec un indéniable talent pictural, comme le démontrent la patine formelle irréprochable et les meilleures séquences d’une oeuvre sachant mesurer ses effets. Souhaitons donc au Danois de tomber dans le futur sur un projet plus habité que ce Chasseuse de géants.

J-B.H.




EN COMPÉTITION
THE LODGERS DE BRIAN O’MALLEY
Après le sympa Let Us Prey, on espérait voir Brian O’Malley confirmer son talent avec ce film d’époque où un frère et une soeur jumeaux vivant dans une vaste demeure sont condamnés à perpétuer une malédiction familiale. La sublime scène prégénérique laisse augurer un conte gothique flamboyant, mais le film s’embourbe vite dans la routine avec ses comédiens transparents et sa narration poussive. Trop timoré pour honorer son ambiance pseudo vénéneuse à base d’inceste, The Lodgers ressemble à un Corman/Poe numérique dénué de l’outrance charnelle de ses modèles.

L.D.




HORS-COMPÉTITION
THE INHABITANT DE GUILLERMO AMOEDO
Don’t Breathe meets L’Exorciste dans cette production mexicano-chilienne qui s’enfonce dans le nawak à mesure que les minutes défilent. Après d’innombrables et barbantes visions imposées par le démon, une morale douteuse permet à l’héroïne de vaincre ce dernier (« Pardonne à ton papa qui t’a violée et fouettée à répétition en récitant des versets de la Bible et tu seras forte. ») avant qu’un twist attendu au tourn [...]

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