2019 LE BILAN !

Par ces temps agités, les traditions nous permettent de garder un cap, de conserver une once de certitude au milieu de cette éternelle tempête qu’est devenu le monde… Trêve de poésie, qui dit janvier dit bilan, et qui dit bilan dit débat acharné ! La rédaction s’est donc à nouveau réunie pour analyser les tendances de l’année écoulée et commenter les grands gagnants et perdants de 2019. Et pour fêter cette nouvelle décennie, petite nouveauté avec un bilan des années 2010 dont s’extrait un grand vainqueur, disons… furieusement Mad.
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INTERVENANTS FRANÇOIS CAU, LAURENT DUROCHE, GILLES ESPOSITO, FAUSTO FASULO, JEAN-BAPTISTE HERMENT & ALEXANDRE PONCET. Retranscription Aurélien Zimmermann.



F.F. Quand on se penche sur le bilan 2019 de la rédaction, on constate que deux titres ex æquo squattent la plus haute marche du podium : Midsommar et Once Upon a Time… in Hollywood. Mais pour toi Gilles, Midsommar ne fait pas vraiment partie des meilleurs…

G.E. Il fait même partie des pires. Je n’aime pas ce film. Je n’aime pas ce cinéaste. Je m’étais déjà acharné sur Ari Aster lors de la table ronde de l’année dernière. Pour Midsommar, j’ai trouvé les personnages de mâles universitaires très chargés. Pour moi, un cinéaste se doit de donner à ses protagonistes la chance d’exister et, dans ce cas-là, leur conférer d’autres dimensions que celle du connard arriviste. Tout m’a paru très plat. Ça me fait d’ailleurs penser à un article qui a été écrit en Italie, un texte très intéressant sur la gentrification du cinéma d’horreur. Ça pointe le fait qu’un film comme Midsommar se place au-dessus d’un cinéma de genre grand public. L’auteur attaque tous les films du distributeur A24, dont ceux de Ari Aster, mais aussi le remake de Suspiria… Il relève que les personnages de ces oeuvres ne sont plus des teenagers de classes populaires, mais presque toujours des bobos universitaires. Et donc des personnages plus éduqués qui, par conséquent, renvoient à un public plus éduqué et qui se croit plus cinéphile. C’est un texte très intéressant, et pour moi, Midsommar est typique de ce phénomène.

L.D. Mais est-ce que ce papier n’essaierait pas de réinventer l’eau tiède en décrivant ce qu’on appelle, depuis pas mal de temps déjà, l’elevated genre ?

G.E. Il développe des points très précis. Dans Midsommar, j’ai trouvé assez consternante la charge pas très intéressante contre les thésards. Le texte pointe la différence de milieux sociaux entre les héros de ces films-là et ceux du cinéma d’horreur des années 80, par exemple.

L.D. Oui, mais ça a toujours été le cas. Des réalisateurs comme David Cronenberg ont toujours fait une horreur plus pointue par exemple, adressée à un public qui vient peut-être plus pour le contenu que pour l’horreur en elle-même.

F.F. Ce n’était pas le cas des premiers Cronenberg, qui étaient de vrais films d’exploitation…



L.D. Oui, mais à partir de Vidéodrome, c’est le cas. Ce que je veux dire, c’est que c’est quelque chose qui a toujours existé. Et puis Gilles, tu parles de la charge contre les thésards, mais j’y vois plus une charge contre le mépris culturel d’une Amérique qui se juge supérieure à toute culture qui diffère de la sienne. Selon moi, c’est l’un des sujets majeurs de Midsommar.

F.C. Je pense que le vrai changement par rapport au cinéma d’horreur des années 70, c’est que ce cinéma-là est très conscient de lui-même. J’ai envie de citer un autre film, qui est cité dans le flop mais que j’avais beaucoup apprécié : Sorry to Bother You. Ou même Us. C’est un cinéma qui est beaucoup trop conscient de son discours, et c’est confirmé par les propos des réalisateurs en interviews, qui disent : « Vous avez vu comment mon film est engagé et fort ! ». C’est peut-être ça qui te dérange, Gilles…

G.E. Oui bien sûr, ça fait partie du problème, ce sont des films de petit malin. Moi, le parcours de cette fille déprimée qui finalement s’épanouit dans une culture d’adoption à travers un itinéraire pas très passionnant, ça ne m’intéresse pas.

F.F. Mais ne peut-on pas recevoir Midsommar comme un film-trip ? C’est en tout cas de cette manière que je l’ai envisagé : comme la visite guidée, hypnotique et languissante, d’une sorte de territoire disons infernal…

G.E. Ou paradisiaque. Le film se termine sur le visage rayonnant de Florence Pugh.

F.F. Je comprends parfaitement ton rejet du film, Gilles. De toute façon, ce type de proposition ne tolère pas la tiédeur. Après, je serais très curieux de lire le papier italien que tu évoques : il y a plutôt du vrai dans cette idée du choix de personnages plus « éduqués » dans l’elevated genre. En revanche, en ce qui concerne la réception par les fans « hardcore » d’horreur, il me semble que Midsommar a été plutôt bien accueilli. Il n’y a pas eu de gros clivage me semble-t-il. A contrario, un film comme Hostel, beaucoup plus dans les clous – sans mauvais jeu de mots ! – de l’horreur, avait été vivement critiqué par les fans de genre à sa sortie. Sans être LE film de l’unification de tous les publics , j’ai quand même l’impression que Midsommar a généré une forme de consensus.

A.P. Je n’ai pas du tout l’impression que le filmse positionne de façon pédante au-dessus du genre. Midsommar est une oeuvre très raffinée sous plein d’aspects, mais c’est un vrai film d’horreur, qui aborde ses éléments horrifiques sans honte. C’est un long-métrage très immersif qui envisage sa mise en scène de façon très kubrickienne, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il se fout de ses personnages. Vous parliez du final infernal et/ou paradisiaque, c’est justement cette ambiguïté qui me plaît. J’aime beaucoup le traitement du personnage principal qui passe d’une dépendance affective à une autre, d’un enfer à un autre. Il y a un bel équilibre entre le côté horrifique et le côté « faux paradis » de la communauté. C’est un trip.

J-B.H. Pour revenir à la gentrification de l’horreur, c’est vrai que c’est un phénomène que l’on peut percevoir et éventuellement redouter. Mais pour moi, là où ce n’est pas encore un problème, c’est que j’ai l’impression que ces films nous proposent toujours une vision, un cinéaste, et ils sont tous différents. À une époque où la pop culture est bouffée par Hollywood avec des résultats au mieux inintéressants et au pire insupportables, c’est important.

F.F. C’est vrai que c’est un débat qui anime notre sphère depuis un moment. Mais si le genre restait arc-bouté sur ses codes et nous resservait sans cesse les mêmes recettes, on serait tous en train de râler sur sa qualité déclinante et son bégaiement artistique. Il y a aussi la question de : « Est-ce que tel réalisateur qui fait un film de genre aime vraiment ça ? ». Mais en réalité, si le mec n’aime pas le genre et qu’il a fait un bon film de genre, on ne peut pas lui enlever qu’il a fait un bon film. La sincérité d’un réal’ n’est jamais gage de qualité, tout comme sa cinéphilie.

G.E. Je pense que la sincérité est un concept très difficile à manier et on ne peut jamais vraiment savoir. Terence Fisher était un cinéaste de studio qui tournait ce qu’on lui donnait à tourner, dans un premier temps surtout des comédies et des films d’aventure. Un jour, il a fait un film d’épouvante qui a été un succès mondial donc il a continué là-dedans. Mais ce n’était pas forcément un amateur du genre au départ, au contraire. Moi, je me soucie de la qualité des films. Pour la sincérité des cinéastes, il faut demander à leur psychiatre.

F.F. Un autre film « d’auteur » est classé n°1, mais cette fois dans notre flop : The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch. Bon, pour ce dernier, je pense qu’on est tous d’accord autour de cette table pour dire que c’est de la merde ! (rires) Mais revenons un instant sur Once Upon a Time… in Hollywood, ex æquo avec Midsommar. On a un peu fait rentrer le film au chausse-pied dans la ligne de Mad, car il était théoriquement hors genre. Enfin non en réalité, puisque Tarantino est un genre à lui tout seul ! Bref, c’est un film que j’ai encore envie de revoir, peut-être encore plus que Midsommar. C’est presque une oeuvre dans laquelle j’ai envie de vivre, je crois. Gilles, c’est à nouveau un titre que tu n’as pas mis dans ton top.

G.E. Effectivement, j’avais un peu fait le procureur lors de la table ronde que nous lui avons consacré, car vous aviez tous aimé sauf moi. Je ne l’ai pas mis dans mon top, mais je ne l’ai pas mis dans mon flop non plus. Je ne délire pas dessus.



F.F. Doctor Sleep, qui est deuxième de notre top, recueille aussi une quasi-unanimité. François, tu veux dire quelque chose sur le film ?

F.C. Le roman de King était très mauvais et assez mal traduit. C’était un espèce d’agrégat maladroit de deux oeuvres distinctes greffées à la diable et structurées de façon un peu cavalière. Et Mike Flanagan, qui personnellement m’avait toujours laissé un peu circonspect à part avec sa série The Haunting of Hill House, a réussi l’exploit assez incroyable d’en faire un bon film. Une histoire pertinente doublée d’une séquelle tardive convaincante. La réutilisation du Shining de Kubrick m’a assez passionné, contrairement à celle faite par Spielberg dans Ready Player One. Il y a une grosse réflexion en ce moment à Hollywood sur la réutilisation des images et la manipulation des acteurs, que ce soit par le de-aging ou la performance capture. Et on y trouve souvent une reconstitution fanatique aveugle des repères du passé. Je trouve que le parti pris de Flanagan d’utiliser d’autres acteurs et de refaire ces scènes de façon un petit peu perturbée et décentrée par rapport au souvenir qu’on en a est génial, et en plus très pertinent par rapport au propos du film.

G.E. On a souvent dit que c’était l’année Stephen King. Il me semble qu’on a fait trois couvertures sur ses adaptations. Et en fait, j’en ai tiré une idée générale : plus les films prennent des libertés avec les romans, meilleurs ils sont. Le diptyque Ça, que je trouve moyen, s’essoufflait beaucoup à essayer de rester fidèle au livre en conservant tous les personnages principaux. Et le seul gros ajout de Ça, chapitre 2 par rapport au bouquin était sa plus grande réussite, c’est-à-dire cette romance gay sous-jacente entre Ritchie et Eddie. Ensuite, et là Alexandre Poncet va hurler, j’aime beaucoup la nouvelle version de Simetierre, qui a un vrai point de vue sur le roman. J’ai revu le film de Mary Lambert et en fait, le bébé zombie à la fin est ridicule. C’est quelque chose de très difficile à rendre à l’écran, et il faut se poser la question de ce qui va marcher ou pas, même si cela fonctionne dans un bouquin. Et la gestion de cet aspect dans la nouvelle version, avec la gamine douée de parole, est bien plus réussie. Mais le mec qui s’en sort le mieux, c’est vraiment Mike Flanagan. Il fait une adaptation très fidèle au départ pour ensuite partir dans un truc complètement différent qui corrige les défaillances du roman. Il sait ce qu’il faut garder ou non du film de Kubrick et du rom [...]

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